Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/383

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ses dispositions, vous ne vous seriez pas embarqués pour tourner jusqu’aux Thermopyles, et lui fermer, comme précédemment, ce passage ; et quand vous auriez appris ses desseins, il l’aurait franchi, vous ne pourriez plus rien faire. [33] Mais Philippe était dans des transes mortelles : malgré sa promptitude à saisir ce poste, l’avis de ses mouvements pouvait vous faire décréter des secours pour la Phocide avant sa destruction, et lui arracher sa proie. Il le redoutait tellement que, séparant Eschine de ses collègues, il donne à cet infâme un supplément de salaire pour vous présenter les conseils et les rapports qui ont tout perdu.

[34] Je vous demande, hommes d’Athènes, je vous supplie de vous souvenir durant tout ce débat que, si Eschine s’était renfermé dans l’acte d’accusation, je ne dirais moi-même rien d’étranger : mais, puisqu’il n’y a imputations ni calomnies dont il ne fasse usage, force est de répondre en peu de mots à chaque reproche. [35] Quels étaient donc alors ces discours d’Eschine, qui devinrent si funestes ? Que Philippe aux Thermopyles ne vous alarme point ! Ne bougez, tout ira selon vos désirs : encore deux ou trois jours, et vous apprendrez qu’il est devenu l’ami des peuples contre lesquels il marchait, et l’ennemi de ceux dont il était l’ami (18). Ce ne sont pas les paroles, ajoutait-il avec emphase, qui cimentent les amitiés, c’est l’unité d’intérêts : or, Philippe, la Phocide et Athènes sont également intéressés à se délivrer de la stupide Fierté des Thébains. » Plusieurs étaient charmés de ce langage, à cause de leur haine secrète contre Thèbes. [36] Mais qu’arrive-t-il bientôt ? Les infortunés Phocidiens sont détruits, leurs villes rasées ; vous, endormis sur la foi de ce traître, vous désertez les campagnes, personnes et biens ; et que fait Eschine ? il reçoit de l’or ! Ce n’est pas tout : ennemis déclarés d’Athènes, Thébains et Thessaliens remercient Philippe de ce qu’il a fait. [37] Qu’on me lise le décret de Callisthène et la lettre du prince : ces deux pièces rendront tout ceci manifeste. — Lis.

Décret.

Sous l’Archonte Mnésiphile (19), dans une assemblée extraordinaire convoquée par les stratèges, de l’avis des prytanes et du Conseil, le 10 de la 3e décade de Mœmactérion, Callisthène de Phalère, fils d’Étéonikos, a dit :

Nul Athénien, sous aucun prétexte, ne passera la nuit à la campagne. Ils se rendront tous dans la ville et au Pirée, excepté ceux qui sont distribués dans les garnisons. Chacun de ces derniers gardera son poste, et ne s’en écartera ni jour ni nuit.

[38] Toute contravention au présent décret sera punie comme trahison, sauf la preuve de l’impossibilité d’obéir. Seront juges de l’excuse le stratège de service (20), le trésorier, le greffier du Conseil.

Tous les effets qui sont à la campagne seront transportés au plus vite dans Athènes et dans le Pirée, si la distance n’excède pas 120 stades ; dans Éleusis, Phylé, Aphidna, Rhamnonte et Sunium, si la distance est plus grande.

Proposé par Callisthène de Phalère.

Est-ce dans cet espoir que vous faisiez la paix ? Sont-ce là les promesses de ce mercenaire ? [39] — Lis aussi la lettre que bientôt après Philippe nous envoya.

Lettre de Philippe.

Le roi des Macédoniens, Philippe, au Conseil et au Peuple d’Athènes, joie !

Sachez que nous avons franchi les Thermopyles, et soumis la Phocide. Dans les places qui se sont rendues nous avons mis garnison ; celles qui ont résisté ont été emportées d’assaut et rasées, leurs habitants vendus. J’apprends que vous vous disposez à secourir les Phocidiens, et je vous écris pour vous épargner une peine superflue. En général, votre conduite ne me semble nullement régulière : vous concluez la paix avec moi, et vous marchez contre moi ! et pour qui ? pour cette Phocide qui n’est point comprise dans nos traités (21) ! Si vous violez nos conventions, vous n’y gagnerez que le titre d’injustes agresseurs.

[40] Vous l’entendez : dans une lettre à vous adressée, Philippe fait à ses alliés cette déclaration précise : « J’ai agi de la sorte en dépit d’Athènes et de son chagrin. Si donc vous êtes sensés, Thébains et Thessaliens, vous la tiendrez pour ennemie, et c’est en moi que vous prendrez confiance. » Voilà, sous d’autres termes, ce qu’il veut faire entendre. Aussi, par cette politique, il entraîna ces peuples, et leur ôta si bien toute prévoyance, tout sentiment, qu’ils le laissèrent maître chez eux. De là, les calamités dont gémissent aujourd’hui les Thébains. [41] Et celui qui a conspiré avec Philippe pour établir cette fatale confiance ; celui qui, par de faux rapports, s’est ici joué de vous, est le même qui déplore maintenant les infortunes de Thèbes et en fait un récit lamentable ; lui, l’auteur de ces désastres, et de ceux de la Phocide, et de tous les malheurs de la Grèce ! Sans doute, Eschine, tu pleures de tels événements, tu t’attendris sur tes Thébains, toi qui, devenu propriétaire en Béotie, cultives les champs qu’ils ont possédés ! Et moi je m’en réjouis, moi dont le destructeur de Thèbes se hâta de demander la tête (22) ! [42] Mais je suis tombé sur un sujet dont il conviendra mieux de parler un peu plus tard. Je reviens à prouver que la vénalité, que le crime ont causé nos malheurs actuels.

Quand Philippe, par ces députés vendus, par leurs rapports mensongers, eut trompé Athènes, trompé la malheureuse Phocide et détruit ses cités, qu’arriva— t-il ? [43] L’abject Thessalien, le stupide Thébain le regardèrent comme un ami, un bienfaiteur, un sauveur ; il était tout pour eux ; 376