Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/384

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ils n’écoutaient pas, si l’on voulait tenir un autre langage. Vous, quoique méfiants et indignés, vous observiez la paix : seuls, que pouviez-vous ? Les autres Hellènes, comme vous abusés et déchus de leurs espérances, caressaient cette paix qui, depuis longtemps, pour eux aussi était presque la guerre. [44] Car, lorsque, dans ses courses, Philippe subjuguait les Triballes (23), et même quelques villes grecques, rangeait sous ses drapeaux de grandes et nombreuses armées, corrompait des citoyens tels que celui-ci, lesquels, à la faveur de la paix, voyageaient dans ses États (24) ; dès lors, à tous les peuples que ses dispositions menaçaient, il faisait la guerre. S’ils ne s’en apercevaient pas, c’est une autre question ; [45] la faute n’en est pas à moi, qui ai toujours prédit, toujours protesté, et chez vous, et partout où je fus envoyé. Mais les républiques étaient malades : ministres, magistrats étaient subornés et vendus ; particuliers et peuples ou ne prévoyaient rien, ou se laissaient amorcer au jour le jour par un indolent repos. Un mal étrange les travaillait tous : chacun se persuadait que l’orage ne fondrait pas sur lui et qu’au milieu du péril des autres il trouverait sa propre sûreté. [46] Ainsi, en échange de cette incurie profonde et intempestive, les peuples ont eu la servitude ; et les chefs, qui croyaient tout vendre, excepté eux-mêmes, sentirent qu’ils s’étaient vendus les premiers. Au lieu des titres d’hôtes et d’amis, qu’ils recevaient avec de l’or, ceux d’adulateurs, d’impies, et mille autres noms trop mérités ; retentissent à leurs oreilles. [47] Car ce n’est jamais dans l’intérêt du traître qu’on lui prodigue les richesses ; une fois maître de ce qu’il a vendu, on ne le consulte plus : autrement, rien ne serait plus heureux qu’un traître. Mais non, cela n’est pas, cela est impossible. Loin de là, parvenu à dominer, l’ambitieux devient aussi le despote de ceux qui lui ont tout livré : alors, connaissant leur scélératesse, il n’a pour eux que haine, défiance, avanies. [48] Consultez les faits : emportés par le temps, ils peuvent toujours être étudiés par les sages. Lasthène a été nommé l’ami de Philippe, jusqu’à ce qu’il eût livré Olynthe (25) ; Timolaos, jusqu’à la ruine de Thèbes ; Eudikos et Simos de Larisse, jusqu’à ce qu’ils lui eussent assujetti la Thessalie, Mais bientôt, chassés, honnis, abreuvés de maux, les traîtres ont erré par toute la terre. Aristrate, qu’a-t-il trouvé à Sicyone ? Périlaos, à Mégare ? l’horreur et le mépris ! [49] D’où l’on voit clairement qu’au citoyen le plus zélé pour la patrie, le plus éloquent contre la trahison, tu es redevable, Eschine, toi et tes avides complices, de tant d’abondantes curées, et que, si vous vivez, si l’on vous paye, c’est grâce à cette multitude (26) qui lutte contre vos complots. Par vous-mêmes, depuis longtemps vous vous seriez perdus.

[50] J’aurais encore beaucoup à dire sur cette époque ; mais n’en ai-je pas déjà trop dit ? La faute en est à cet homme : il a répandu sur moi la vieille lie de ses trahisons, de ses forfaits (27), et il m’oblige à me purifier devant les citoyens, plus jeunes que les événements. Peut-être aussi vous ai-je fatigués, vous qui, même avant que j’aie dit un mot, saviez quelle fut alors sa vénalité. [51] Voilà ce qu’il appelle hospitalité, amitié ! Je lui reproche d’être l’hôte d’Alexandre, a-t-il dit quelque part. Moi, te reprocher l’amitié d’Alexandre ! Comment l’aurais-tu acquise ? à quel titre ? Non, je ne puis te nommer ni l’ami de Philippe, ni l’hôte d’Alexandre ; je ne suis pas si insensé. Les moissonneurs, les gens de salaire s’appellent-ils les amis, les hôtes de qui les paye ? [52] Il n’en est rien, absolument rien. Mercenaire de Philippe d’abord, mercenaire d’Alexandre aujourd’hui, voilà comme je te désigne, avec tous ces citoyens. Tu en doutes ? interroge-les…., ou plutôt je le ferai pour toi. Hommes d’Athènes, que vous en semble ? Eschine est-il l’hôte d’Alexandre, ou son mercenaire ? …. Tu entends leur réponse (28).

[53] Je veux maintenant me justifier sur l’accusation même, et vous exposer ma conduite. Qu’Eschine entende ce qu’il sait bien, pour quelles actions je déclare mériter et la récompense, objet du décret, et de beaucoup plus grandes encore. — Prends et lis-moi l’accusation.

[54] Accusation.

Sous l’Archonte Chaerondas, le six d’Élaphébolion (29), Eschine de Cothoce, fils d’Atromète, a déposé entre les mains de l’Archonte une accusation contre Ctésiphon d’Anaphlyste, fils de Léosthène, pour avoir présenté un décret contraire aux lois, portant qu’il faut couronner d’une couronne d’or Démosthène de Poeania, fils de Démosthène, et faire proclamer sur le théâtre, aux grandes Dionysies, le jour des nouvelles tragédies, que le Peuple couronne d’une couronne d’or Démosthène de Paeania, fils de Démosthène, pour sa vertu, son zèle constant envers tous les hellènes et le Peuple Athénien, pour sa loyauté (30), pour ses actions, ses discours, qui ne cessent de procurer le plus grand bien du Peuple, et pour son ardeur à le servir de tout son pouvoir [55] toutes choses fausses, contraires aux lois, qui ne permettent, 1° d’insérer des mensonges dans les actes publics ; 2° de couronner un comptable ; or Démosthène est préposé à la réparation des murs et caissier du théâtre ; 3° de proclamer la couronne sur la scène, aux Dionysies, pendant les tragédies nouvelles, mais bien dans le Conseil, si le Conseil la décerné et, si c’est la ville, dans le Pnyx, à l’assemblée.

Amende, cinquante talents.

Témoins de l’accusation, Céphisophon de Rhamnonte, fils de Céphisophon ; Cléon de Cothoce, fils de Cléon.

377 [56] Voilà,