Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/389

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trahir la cause commune ! Et qui ne m’eût exterminé avec raison, si j’eusse tenté de flétrir, même d’une parole, la gloire d’Athènes ? Aussi bien, vous n’eussiez rien fait de pareil, je le sais parfaitement. Si vous l’aviez voulu, qui vous arrêtait ? n’étiez-vous pas libres ? n’étaient-ils pas là pour vous l’insinuer, ces misérables ? [102] Je reprends la suite de ma conduite politique : ici encore, hommes d’Athènes, considérez ce qui était le plus utile à l’État. Voyant votre marine dépérir, les riches s’exempter des charges à peu de frais (55), les pauvres et ceux d’une médiocre fortune ruinés, la République manquer par là les occasions, je portai une loi qui força le riche à faire son devoir, tira d’oppression le pauvre, et procura le plus grand avantage à la patrie, des préparatifs faits à temps. [103] Accusé d’infraction aux lois, je parus devant vous, je fus acquitté ; l’accusateur n’obtint pas le cinquième des suffrages. Quelle somme cependant croyez-vous que m’offraient les chefs des classes d’armateurs, et les seconds, et les troisièmes, pour m’engager à ne point proposer cette loi, à la laisser du moins se perdre dans les délais de l’accusation (56) ? Je n’oserais, ô Athéniens ! vous le dire. [104] Et ils avaient leurs raisons : d’après la loi précédente, pouvant s’associer jusqu’à seize pour acquitter leur taxe, ils ne payaient rien ou peu de chose, et écrasaient le pauvre ; d’après ma loi, chacun paye suivant ses facultés ; et tel qui, auparavant, ne contribuait que d’un seizième à l’armement d’un seul navire, se vit obligé d’en équiper deux. Aussi ne s’appelaient-ils pas triérarques, mais coimposés. Pour détruire cette mesure, pour se soustraire à une juste obligation, il n’est rien qu’ils n’eussent donné. [105] — Lis-moi d’abord le décret attestant que j’ai comparu en justice ; ensuite les rôles selon l’ancienne loi, et selon la mienne. Lis.

Décret.

Sous l’Archonte Polyclès (57), le seize de Boédromion, la tribu Hippothoontide présidant, Démosthène de Paeania, fils de Démosthène, a substitué une loi navale à l’ancienne, qui établissait les associations de triérarques. Le Conseil et le Peuple l’ont acceptée. Patrocle de Phlyes a poursuivi Démosthène comme infracteur des lois ; et, n’ayant pas obtenu le cinquième des suffrages, il a payé cinq cents drachmes.

[106] Produis aussi le beau rôle d’autrefois.

Ancien rôle.

On désignera, pour une trirème, seize triérarques associés, choisis dans les compagnies des co-imposés (58), depuis vingt-cinq ans jusqu’à quarante ; ils contribueront à frais égaux.

Rapproche de ce rôle celui que ma loi a fait dresser.

Nouveau rôle

On choisira les armateurs d’une trirème d’après la fortune et le cens, à partir de dix talents (59). Si l’estimation des biens s’élève plus haut, la charge s’étendra proportionnellement jusqu’à trois navires et une chaloupe. Même proportion à l’égard des citoyens qui ont moins de dix talents : pour contribuer ils s’associeront jusqu’à concurrence de cette somme.

[107] Vous semble-t-il que j’aie peu soulagé les pauvres, ou que les riches n’eussent pas acheté bien cher la dispense d’une obligation légitime ? Ce n’est donc pas seulement d’avoir repoussé une transaction coupable, et vaincu mon accusateur, que je me glorifie ; c’est encore d’avoir porté une loi salutaire, et prouvé son utilité par l’expérience. Car, durant toute la guerre, où les armements se sont faits d’après cette loi, aucun triérarque ne s’est plaint devant vous d’être surchargé ; aucun ne s’est réfugié à Munychia (60) ; aucun n’a été emprisonné par les intendants de la marine ; pas une trirème prise en mer et perdue pour la République ; pas une restée au port, faute de pouvoir partir : [108] obstacles qui s’élevaient tous sous l’ancienne loi. La cause était dans les pauvres, incapables d’acquitter leur taxe. De là, souvent, l’impossibilité d’agir. Je transférai du pauvre sur le riche les frais d’armements, et tout se passa dans l’ordre. Je mérite donc des éloges précisément pour avoir toujours adopté une politique qui a procuré à l’État gloire, honneurs, puissance ; pour n’avoir rien fait d’envieux, d’amer, de perfide, rien de bas, rien qui ne fût digne d’Athènes. [109] Dans les affaires de la Grèce vous me verrez animé du même esprit que dans celles de la République. Ici, les droits du Peuple ont eu plus de prix à mes yeux que la faveur des riches ; là, j’ai préféré à l’or et à l’amitié de Philippe les intérêts de tous les Hellènes.

[110] Il me reste à parler de la proclamation et des comptes : car mes bons services envers l’État, mon affection, mon dévouement pour vous, me semblent mis à un assez grand jour par ce qui précède. J’omets cependant mes actions les plus importantes, persuadé qu’il est temps de répondre au reproche d’illégalité, et que, si je tais le reste de ma vie publique, vos souvenirs y suppléeront.

[111] Tout ce verbiage confus qu’Eschine a entassé sur l’infraction des lois ne vous a rien appris, j’en atteste les Dieux ! et moi-même je n’y ai pu rien comprendre. Suivant la droite ligne, je discuterai la simple équité. L’imposteur a cent fois affirmé que je suis comptable. Eh bien ! je suis si loin de le nier, que je m’avoue comptable toute ma vie des deniers et des affaires dont j’ai eu l’administration (61). [112] Mais ce que j’ai donné spontané— 382 ment