Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/390

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de mon propre bien, je soutiens que je n’en suis pas comptable un seul jour, entends-tu, Eschine ? ni aucun autre, fût-ce un des neuf Archontes. Lorsque, par générosité, par patriotisme, un citoyen donne à l’État une partie de sa fortune, où est la loi assez inique, assez cruelle pour lui ravir votre reconnaissance, le livrer aux sycophantes, soumettre son bienfait à leur contrôle ? Une telle loi n’existe point. S’il prétend le contraire, qu’il la montre, je me résigne et me tais. [113] Mais elle n’existe pas, ô Athéniens ! Toutefois, parce que j’étais trésorier du théâtre quand j’ai donné, le calomniateur s’écrie : Le Conseil lui décernait un éloge, et il était comptable ! — Non, cet honneur ne s’appliquait à rien dont je fusse comptable, mais à mes libéralités, vil sycophante ! — Tu étais encore, poursuit-il, intendant des fortifications. — Eh ! voilà pourquoi j’ai mérité des louanges : je complétai la dépense par un don, sans compter avec Athènes. Un compte demande une enquête, des contrôleurs ; mais à des largesses que faut-il ? la reconnaissance, des éloges : et tel fut le motif du décret de Ctésiphon.

[114] Ces principes se fondent et sur vos lois, et sur vos usages : maint exemple le prouvera facilement. Nausiclès, étant stratège, a reçu plusieurs couronnes pour ses libéralités. Après lui, Diotime, puis Charidème, furent couronnés pour un don de boucliers. Encore préposé à de nombreux ouvrages publics, Néoptolème, que voici, pour y avoir suppléé de son bien, obtint le même honneur. Il serait cruel, en effet, que l’exercice d’une charge privât du droit de faire un don à la patrie, ou que, pour toute reconnaissance, on soumît des largesses à une enquête. [115] — Pour constater les faits, prends et lis-moi les décrets qui furent portés alors. Lis.

Décret.

Archonte, Détnonique Phlyes (63). Le vingt-six de Boédromion, de l’avis du Conseil et du Peuple, Callias de Phréarrhe a dit :

Le Conseil et le Peuple décernent une couronne au stratège de service Nausiclès, parce que, deux mille hoplites athéniens étant à Imbros pour protéger leurs concitoyens qui habitent cette île, et Philon, élu trésorier, ne pouvant, à cause des tempêtes, faire la traversée et solder cette infanterie, il l’a entretenue à ses frais, sans recours sur le Peuple. La couronne sera proclamée aux Dionysies, pendant les tragédies nouvelles.

[116] Autre décret.

Les prytanes entendus, de l’avis du Conseil, Callias de Phréarrhe a dit :

Attendu que Charidème, chef de l’infanterie, envoyé à Salamine, et Diotime, chef de la cavalerie, voyant, dans ! le combat prés du fleuve (64), une partie des troupes dépouillée par l’ennemi, ont, à leurs propres dépens, fourni huit cents boucliers aux jeunes soldats ; le Conseil et le Peuple arrêtent :

Charidème et Diotime seront couronnés d’une couronne d’or, que l’on proclamera aux grandes Panathénées, dans les luttes gymniques, et aux Dionysies, pendant les nouvelles tragédies.

Sont chargés du soin de la proclamation, les thesmothètes, les prytanes, les agonothètes.

[117] Chacun de ces citoyens, Eschine, comptable de la charge qu’il exerçait, ne l’était point du bienfait qui lui valut une couronne. Je ne le suis donc pas, moi : ma cause étant pareille, j’ai même droit, sans doute. Ai-je donné ? on m’en loue, et je ne suis pas comptable de mes dons. Ai-je administré ? j’ai rendu compte de ma charge, non de mes largesses. Mais, j’ai malversé ? Pourquoi donc, toi qui étais là quand les contrôleurs m’appelaient devant eux, ne m’accusais-tu point ? [118] Pour vous convaincre que, de son propre aveu, je ne dois nul compte de ce qui me faisait couronner, qu’on prenne le décret porté en ma faveur, et qu’on le lise en entier. Dans cette décision préalable, ce qu’il n’a pas attaqué démasquera ses impostures sur ce qu’il poursuit. — Lis.

Décret.

Sous l’Archonte Euthyclès (65), le neuf de la 3e décade de Pyanepsion (66), la tribu Œnéide présidant, Ctésiphon d’Anapld yste, fils de Léosthène, a dit :

Attendu que Démosthène de Paeania, fils de Démosthène, chargé de la réparation des Murs, y a dépensé, de son bien, trois talents dont il a fait don au Peuple ; que, trésorier du théâtre, il a ajouté, pour les sacrifices, cent mines à la somme tirée de toutes les tribus ;

Le Conseil et le Peuple d’Athènes arrêtent ;

Un éloge public est décerné à Démosthène de Poeania, fils de Démosthène, pour sa vertu, son beau caractère, et le zèle qui l’anime en toute occasion pour le Peuple Athénien. Il sera couronné d’une couronne d’or, dont la proclamation se fera sur le théâtre, aux Dionysies, le jour des nouvelles tragédies, par les soins de l’agonothète.

[119] Telles sont mes libéralités ; tu n’en dis mot : mais l’honneur dont le Conseil déclare qu’elles doivent être payées, voilà ce que tu attaques ! Recevoir des dons, tu l’avoues, est chose légitime ; la reconnaissance, tu la proscris comme illégale ! Le méchant consommé, l’ennemi du ciel, l’envieux, n’est-ce pas, grands Dieux ! un tel homme ?

[120] Quant à l’inauguration sur le théâtre, je ne rappelle point que mille noms y furent mille fois proclamés, que souvent j’y avais été couronné moi-même. Mais, par les Dieux ! Eschine, as-tu l’esprit assez faux ou assez borné pour ne pas Comprendre que, partout où une couronne est proclamée, la gloire du citoyen qui la reçoit est la même ; que l’intérêt de ceux qui la décernent est le motif de la publication sur la scène ? Oui, tous les auditeurs sont excités à bien mériter de 383 la