Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/391

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République ; ils applaudissent moins le citoyen couronné que ses compatriotes reconnaissants. Voilà pourquoi Athènes a porté cette loi dont je demande lecture.

Loi.

Si un bourg décerne une couronne, elle sera proclamée dans le bourg même ; si c’est le Peuple ou le Conseil, la proclamation pourra se faire sur le théâtre, aux Dionysies (67).

[121] Entends-tu, Eschine, le langage clair de la loi ? Si le décret émane du Peuple ou du Conseil, qu’on proclame (68) la couronne au théâtre. Pourquoi donc, misérable, tant de calomnies, tant d’artificieux mensonges ? Que ne prends-tu de l’ellébore (69) ? Quoi ! tu n’as pas honte d’intenter cette accusation haineuse et jalouse, sans un seul grief ! d’altérer, de tronquer les lois que tu devais lire entières à des juges qui ont juré de prononcer suivant les lois ! [122] Puis, avec une telle conduite, tu traces le portrait du vrai démocrate (70) : semblable à celui qui a commandé une statue par contrat, et qui, en la recevant, ne trouve pas les conditions remplies ! Comme si le vrai démocrate se reconnaissait à des mots, non à ses œuvres, à sa politique ! Et tu vocifères, comme de dessus un tombereau (71), mille injures applicables à toi et à ta race, non à Démosthène ! [123] Mais songez-y, Athéniens, il est une grande différence entre l’accusation et l’invective. L’une présente des crimes dont le châtiment est dans les lois ; l’autre, d’outrageantes paroles que des ennemis renvoient au gré de leur humeur. Or, je vois nos ancêtres élever ces tribunaux, non pour que, vous y rassemblant, nous échangions des insultes nées de nos querelles privées, mais pour confondre quiconque aura blessé la patrie. [124] Eschine le savait aussi bien que moi, et il a préféré l’invective à l’accusation. Toutefois, il n’est pas juste qu’il se retire, ayant ici la moindre part. J’y arrive à l’instant ; encore cette question : Qui doit-on voir en toi, Eschine ? l’ennemi de la République, ou le mien ? Le mien, sans doute. Eh quoi ! quand, au nom de la loi, tu pouvais, si j’étais coupable, me faire punir, tu as laissé tranquille Démosthène rendant ses comptes, accusé, poursuivi ; [125] et, lorsque tout proclame son innocence, lois, temps, terme échu, jugements nombreux sur cette matière, conduite reconnue irréprochable, services plus ou moins glorieux pour l’État, selon la fatalité, c’est alors que tu l’attaques ! Prends garde : sous le masque de mon ennemi, tu es l’ennemi d’Athènes.

[126] Après vous avoir montré à tous quel est le vote conforme à la religion, à la justice (72), je dois, malgré ma répugnance pour l’invective, dire sur Eschine quelques vérités indispensables, en échange de tant d’outrages et de calomnies ; je dois exposer ce qu’il est, d’où il sort, cet homme à la parole leste et envenimée, qui relève si aigrement quelques mots, lui qui en a dit que tout citoyen modeste n’eût osé prononcer. [127] Si j’avais pour accusateur Éaque, Rhadamanthe ou Minos, et non un semeur de babil, un roué de tribune, un misérable scribe, il n’eût point, je crois, parlé sur ce ton, entassé des termes si révoltants, hurlé, comme dans une tragédie : « Ô Terre ! ô Soleil ! ô Vertu ! etc., apostrophé l’Intelligence, la Science « par qui nous discernons le bien et le mal ; car voilà ce que vous avez entendu. [128] La vertu, infâme ! eh ! qu’a-t-elle de commun avec toi et les tiens ? Le bien, le mal, comment les distinguerais-tu ? d’où te serais-tu élevé à cette lumière ? Est-ce à toi de parler de la science ? Parmi ceux qui la possèdent réellement, pas un n’oserait s’en prévaloir. Qu’un autre les loue, ils rougiront ; mais un être inculte comme toi, un grossier fanfaron, révolte ses auditeurs, et n’en impose pas.

[129] Je ne suis pas embarrassé pour parler de toi et des tiens ; je le suis pour commencer. Citerai-je d’abord Tromès, ton père, esclave d’Elpias, y naître d’école près du temple de Thésée, et ses grosses entraves, et son carcan (73) ? ou ta mère, chaque jour nouvelle épousée, dans un lieu de débauche, près du héros Calamite, et t’élevant, belle statue (74), parfait acteur des troisièmes rôles ? Mais tout le monde sait cela, sans que j’en parle. Rappellerai-je qu’un fifre de galère, Phormion, esclave de Dion de Phréarrhe, la retira de cet honnête métier ? Mais, par Jupiter, par tous les Dieux ! je crains que ces détails, dignes de toi, ne paraissent m’avilir. [130] Je les abandonne donc, pour commencer à l’histoire de ta vie.

Eschine n’était pas un homme vulgaire, mais un de ceux que distingue l’exécration publique. C’est bien tard, que dis-je ! c’est d’hier qu’il s’est fait Athénien et orateur. Il a allongé de deux syllabes le nom paternel, et Tromès est devenu Atrométos (76). Pour sa mère, il l’a magnifiquement appelée Glaucothéa : tous savent qu’on la surnommait le Lutin, évidemment à cause de sa lubricité si active, si patiente : c’est incontestable. [131] Mais telles sont ton ingratitude et ta perversité innées : gueux et esclave, les Athéniens t’ont fait riche et libre ; et, loin d’en être reconnaissant, tu te vends pour les trahir !

Je tairai les circonstances où l’on se demande si c’est pour Athènes qu’il a parlé ; mais celles où il a été ouvertement convaincu de travailler pour nos ennemis, je les rappellerai. [132] Qui de vous n’a 3