porter les citoyens à la concorde, à l’amitié, au zèle du bien public : j’ai fait tout cela ; nul ne peut m’accuser d’avoir rien négligé. [247] Que si l’on demande par quels moyens Philippe a presque toujours réussi, chacun répondra : Par son armée, par ses largesses, par ses corruptions répandues sur tous ceux qui gouvernaient. Moi, je n’étais ni le maître ni le chef des troupes : je ne suis donc pas responsable de ce qu’elles ont fait. Mais, en repoussant son or, j’ai vaincu Philippe (123). Quand un traître s’est vendu, l’acheteur a triomphé de lui ; mais qui demeure incorruptible a triomphé du séducteur. Athènes a donc été invaincue du côté de Démosthène.
[248] Tels sont, entre mille autres, les motifs qui légitiment le décret de Ctésiphon. Ce que je vais dire est connu de vous tous.
Aussitôt après la bataille, il n’eût pas été surprenant que le Peuple, quoique sachant tout ce que j’avais fait pour lui, méconnût mes services quand il se vit tombé dans un si grand péril (124). Cependant, lorsqu’il délibéra sur le salut de la ville, ce furent mes conseils qu’il approuva. Tout ce qui concernait la défense d’Athènes, distribution de sentinelles, retranchements, contribution pour la réparation des murs, fut réglé par mes décrets (125). Ayant à choisir un intendant des vivres, le Peuple me donna la préférence sur tout autre. [249] Bientôt après se liguèrent contre moi ces hommes acharnés à me nuire : ils m’accusèrent d’illégalité, de malversation, de trahison, non par eux-mêmes d’abord, mais par des suppôts derrière lesquels ils croyaient se cacher. Vous savez, vous vous souvenez que, dans les premiers temps, j’étais accusé presque tous les jours. La démence de Sosiclès, les calomnies de Philocrate, la rage de Diondas et de Mélante, tout fut essayé contre moi. De tant de périls, grâce aux Dieux, grâce à vous, à tous les autres Athéniens, je sortis vainqueur ! Ce fut justice ; j’avais pour moi la vérité, et des juges dont la sentence fut fidèle à leur serment. [250] Or, sur le crime de trahison m’absoudre, et ne pas donner à mes accusateurs la cinquième partie des voix, c’était déclarer ma conduite irréprochable ; me décharger d’une accusation d’illégalité, c’était attester le respect de la loi et dans mes paroles et dans mes décrets ; approuver mes comptes, c’était me reconnaître intègre et incorruptible. D’après cela, en quels termes était-il convenable et juste que Ctésiphon parlât de mes actions ? Pouvait-il s’exprimer autrement que le Peuple, autrement que des juges liés par un serment, autrement que la vérité proclamée par tous ?
[251] Oui, dit-il ; mais la gloire de Céphale est de n’avoir jamais été accusé. Ah ! dis plutôt son bonheur. Celui qui, accusé souvent, n’a jamais été trouvé coupable, est-il plus criminel ? Au reste, vis-à— 395 vis de mon adversaire, hommes d’Athènes ! je puis m’attribuer la gloire de Céphale ; car il ne m’a jamais accusé, jamais poursuivi. Tu m’avoues donc, ô Eschine ! aussi bon citoyen que Céphale.
[252] Sur plusieurs points éclatent sa méchanceté et sa basse jalousie, mais surtout dans ses déclamations sur la fortune. Je crois qu’en général l’homme ne peut, sans folie, sans grossièreté, reprocher à l’homme sa destinée (126). Celui qui se croit le plus fortuné ignore s’il le sera jusqu’au soir ; et il se vantera de son bonheur ! il insultera au malheur d’autrui ! Sur ce sujet, comme sur tant d’autres, Eschine s’est exprimé avec un dédain superbe : voyez, hommes d’Athènes ! combien mon langage est plus vrai, plus humain. [253] Je regarde la fortune de notre République comme heureuse : Jupiter à Dodone, Apollon à Delphes nous l’ont assuré par leurs oracles. Mais la destinée qui pèse maintenant sur tous les peuples est fâcheuse et dure. Où est le Grec, où est le Barbare qui, de nos jours, n’ait fait souvent l’expérience du malheur ? [254] Mais avoir embrassé le parti le plus honorable, et se voir dans une situation meilleure que ces mêmes Hellènes qui mettaient leur bonheur à nous trahir, là je reconnais l’heureuse fortune d’Athènes. Que nous ayons chancelé, que tout n’ait pas réussi au gré de nos vœux, c’est le sort de tous les hommes, c’est notre part du commun malheur. [255] Quant à ma fortune particulière, à celle de chacun de nous, il faut la rechercher dans ce qui nous est personnel. Telle est, selon moi, la voie simple et droite ; et, sans doute, vous pensez de même. Eschine affirme que mon sort soumet à son influence le sort de l’État : c’est dire qu’une destinée faible et obscure prévaut sur une haute et glorieuse destinée ; cela se peut-il ?
[256] Veux-tu absolument, Eschine, examiner ma fortune ? compare-la à la tienne ; et, si tu la trouves meilleure, cesse de la décrier. Remonte à l’origine. Par Jupiter et tous les Dieux ! qu’on n’accuse pas ici ma raison ; je le reconnais, c’est manquer de sens que d’outrager la pauvreté, ou de se glorifier d’avoir été élevé dans l’opulence. Si les insultes et les calomnies de ce méchant me forcent à de pareils discours, j’y apporterai du moins toute la modération que le sujet permettra.
[257] Enfant, j’eus le bonheur, Eschine, de fréquenter les premières écoles, et d’avoir assez pour que l’indigence ne me contraignît pas à m’avilir. Devenu homme, ma conduite répondit à mon éducation ; je fus chorège, triérarque ; je fournis aux dépenses d’Athènes ; jamais je ne manquai l’occasion d’une libéralité publique ou privée ; je servis et l’État