Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/407

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envers vous, envers Athènes, pour tant de biens précieux, serait mon ouvrage ! Pour vous convaincre que, dans la crainte d’irriter l’envie, j’abaisse mon langage au-dessous des faits, on va prendre et lire l’énumération des secours envoyés d’après mes décrets.

Énumération des secours.

[306] Voilà, Eschine, ce que doit faire l’homme d’honneur, le bon citoyen. Le succès, ô Terre ! ô Dieux ! nous eût placés incontestablement au faîte de la grandeur, et placés avec justice. Dans nos revers, il nous reste, du moins, une renommée intacte ; nul ne se plaint d’Athènes, ne blâme sa politique ; on n’accuse que la fortune, qui a ainsi décidé. [307] Mais, par Jupiter ! le bon citoyen ne se détache point des intérêts de l’État, ne se vend point aux ennemis pour les servir dans l’occasion, au lieu de servir sa patrie ; il ne dénigre pas celui chez qui des discours, des décrets dignes de la République ont été l’objet d’une application persévérante ; il ne garde pas le souvenir d’un e inj ure personnelle ; il ne se tient pas, comme tu fais souvent, dans un repos insidieux et funeste.

[308] Sans doute, il est un repos honorable, utile à la patrie, et vous le goûtez presque tous loyalement. Mais, tel n’est pas, il s’en faut, le repos de cet homme. Caché loin des affaires quand bon lui semble, ce qui n’est pas rare, il épie le moment où vous êtes las d’entendre un orateur assidu, où la fortune vous envoie quelqu’un de ces revers, de ces chagrins si communs dans la vie humaine. Soudain il s’élance de sa retraite (141) ; sa parole s’élève comme le vent, il déploie sa voix, entasse mots sur mots, et prolonge tout d’une haleine des tirades sonores qui, loin de produire aucun bien, frappent au hasard quelques particuliers, et déshonorent la République. [309] Si ces exercices, si cette activité, Eschine, partaient d’une âme saine, vraiment zélée pour la patrie, il en sortirait des fruits généreux, utiles à tous, alliances, subsides, entreprises commerciales, lois salutaires, puissants obstacles opposés à l’ennemi.

[310] C’est là ce que nous recherchions dans ces jours mauvais qui présentaient au bon et vertueux citoyen mille occasions où jamais tu ne parus, ni le premier, ni le dernier (142), non jamais : et cependant il s’agissait de l’agrandissement de la patrie ! [311] Quelle alliance, quels secours, quels amis, quelle gloire Athènes a-t-elle acquis par toi ? Est-il une ambassade, une fonction dans laquelle tu lui aies fait honneur ? Athénienne, grecque ou étrangère, une affaire a-t-elle jamais réussi entre tes mains ? Où sont les flottes, les armes, les arsenaux, les fortifications, la cavalerie, dont nous soyons redevables à tes soins ? Le riche, l’indigent, quelles ressources ont-ils puisées dans tes dons patriotiques ? Aucune ! [312] — Il est vrai ; mais il a montré du zèle, de la bonne volonté. — Où ? dans quel temps ? Ô le plus injuste des hommes ! lorsque tous les orateurs s’imposaient une taxe volontaire pour le salut commun, lorsque dernièrement Aristonique y sacrifia les épargnes amassées pour sa réhabilitation (143), tu ne donnas rien, tu ne parus même pas. Fut-ce par indigence ? Non ; car tu avais reçu plus de cinq talents de la succession de Philon, ton beau-père ; et deux talents, offerts collectivement par les premiers contribuables ; pour avoir mutilé la loi sur les armements (144). [313] Passons sur ces détails : de propos en propos ils m’entraîneraient loin de mon sujet. Il demeure constant que, si tu ne t’imposas point, ce ne fut pas faute d’argent, mais ménagement délicat pour ceux à qui ta politique est vendue.

Quand donc es-tu hardi ? Quand brilles-tu le plus ? C’est lorsqu’il faut parler contre ces citoyens. Oh ! alors tu déploies une voix éclatante, une immense mémoire, le talent d’un grand acteur, d’un Théocrine (145) !

[314] Tu as parlé des grands hommes de l’ancien temps : rien de mieux. Mais il est injuste, ô Athéniens ! d’abuser de votre admiration pour ces illustres morts, et d’établir un parallèle entre eux et moi, qui vis au milieu de vous. [315] Ne sait-on pas que l’envie se glisse plus ou moins sous les vivants, et que les morts n’ont plus d’ennemis (146) ? Tel est le cœur humain : et c’est aujourd’hui, c’est l’œil fixé sur nos devanciers, que l’on me jugera ! Non, il n’y aurait là ni justice, ni parité. C’est à toi, Eschine, à celui de tes pareils que tu voudras, à nos contemporains, qu’il faut me comparer. [316] Considère encore s’il est plus beau, plus utile pour Athènes, que les services de nos ancêtres, prodigieux sans doute et supérieurs à l’éloge, fassent oublier, mépriser les services récents, ou d’aimer, d’honorer quiconque sert la patrie avec ardeur. [317] Bien plus, qu’il me soit permis de le dire, si l’on examine de bonne foi ma conduite, on reconnaîtra la conformité de mes intentions avec celles des grands hommes que tu célèbres, et de tes intrigues avec celles de leurs calomniateurs. Car leur siècle aussi vit des méchants qui, pour rabaisser les vivants, exaltaient les morts, lâches envieux, tes pareils. [318] Tu dis que je n’ai rien de ces illustres citoyens : mais toi, Eschine, mais ton frère, mais tous les orateurs d’aujourd’hui, leur ressemblez-vous ? Eh ! l’homme de bien (je t’épargne d’autres noms) compare les vivants aux vivants, et les talents entre eux, comme on fait pour les poètes, les danseurs, les athlètes. 400 [319] Philammon,