Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/406

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ssance 398 qui s’élevait contre les Hellènes, vous me donneriez plus que vous n’accordâtes jamais. Je ne m’arrogerai pas cet honneur : ce serait vous faire injure ; vous ne le souffririez pas, je le sais ; et, si cet homme était juste, il ne viendrait pas, en haine de moi, calomnier votre gloire.

[294] Mais à quoi m’arrêté-je ? n’ai-je pas à repousser des mensonges bien plus révoltants ? Celui qui m’accuse, ô ciel ! de philippiser (137), que n’est-il point capable de dire ? J’en atteste Hercule et tous les Dieux ! si, retranchant les imputations de la calomnie et de la haine, il fallait rechercher de bonne foi les têtes coupables sur lesquelles doit peser le reproche de nos calamités, on trouverait que c’est sur les Eschines de chaque ville, non sur ses Démosthènes. [295] Lorsque la puissance de Philippe était encore faible et restreinte, nous prodiguions à la Grèce avertissements, exhortations, leçons de prudence ; eux, dans leur sordide avarice, vendaient les intérêts publics, séduisant, corrompant leurs concitoyens, jusqu’à ce qu’ils les eussent faits esclaves : en Thessalie, Daochos, Cinéas, Thrasydée ; en Arcadie, Cercidas, Pliéronymos, Eucampidas ; chez les Argiens, Myrtès, Télédamos, Mnaséas ; à Élis, Euxithée, Cléotime, Aristfflchmos ; à Messène, la race de l’impie Philiade, Néon et Thrasyloque ; à Sicyone, Aristrate, Épicharès ; à Corinthe, Dinarque, Démarate ; à Mégare, Ptœodore, Hélixos, Périlaos ; à Thèbes, Timolaos, Théogiton, Anémoctas ; Hipparque, Clitarque, Sosistrate en Eubée (138). [296] Le jour finirait avant que j’eusse compté tous les traîtres. Les voilà, ô Athéniens ! les hommes qui, dans leurs villes, suivaient tous les mêmes principes que ceux-ci parmi vous : âmes de boue, vils adulateurs, furies de leur patrie, que chacun d’eux a horriblement mutilée, ils ont, la coupe en main, vendu la liberté tour à tour à Philippe, à Alexandre (139) ; et, mesurant la félicité au plaisir de leur ventre, à leurs infamies, ils ont anéanti cette indépendance, cette douceur de ne relever d’aucun maître, bonheur suprême de nos pères.

Parmi ces complots hideux qui eurent tant d’échos, tranchons le mot, dans cette vente de la liberté grecque, le monde, grâce à mes conseils, a vu l’innocence des Athéniens ; les Athéniens, celle de Démosthène. Et tu demandes pour quelle vertu je crois mériter une récompense ! Je vais te le dire. [297] Avoir résisté aux occasions, aux cajoleries, aux plus brillantes promesses, alors que, dans toutes les villes de la Grèce, tous les orateurs, à commencer par toi, étaient achetés par Philippe, puis par Alexandre ; [298] avoir refusé à l’espoir, à la crainte, à la faveur, l’abandon des droits et des intérêts de ma patrie ; par les conseils offerts à mes concitoyens, n’avoir jamais, comme ta cabale, incliné la balance du côté du gain ; avoir montré dans tous mes actes un cœur droit et incorruptible ; avoir enfin dirigé les plus grandes affaires de mon siècle avec prudence, équité, candeur : [299] voilà mes titres à une couronne !

Quant à cette réparation de murs et de fossés, que tu poursuis de tes railleries, je la crois digne de reconnaissance et d’éloges, pourquoi pas ? mais je la place fort au-dessous de mes autres services. Non, ce n’est pas uniquement de pierres et de briques que j’ai revêtu notre ville ; ce n’est pas là mon plus grand titre de gloire. Jette un regard d’équité sur mes vraies fortifications, tu trouveras des armes, des cités, des places, des ports, des vaisseaux, de la cavalerie, une armée dévouée. [300] Les voilà, les remparts dont j’ai muni, autant que pouvait la prudence d’un homme, non seulement l’enceinte d’Athènes et du Pirée, mais toute l’Attique. Aussi n’ai-je pas été vaincu, il s’en faut bien, par la politique et les armes de Philippe ; mais les généraux et les soldats de nos alliés l’ont été par la fortune. En voici les preuves : jugez de leur clarté, de leur évidence.

[301] Que devait faire un zélé citoyen, qui, avec toute la prévoyance, l’ardeur, la droiture possibles, travaillait pour sa patrie ? Ne devait-il pas couvrir l’Attique, vers la mer, par l’Eubée ; vers la terre, par la Béotie ; vers le Péloponnèse, par les peuples limitrophes ? s’assurer, pour le transport des grains jusqu’au Pirée, un passage libre à travers des contrées amies ? [302] conserver ce que nous possédions, la Proconèse, la Chersonèse, Ténédos, et, pour cela, envoyer des secours, parler, rédiger des décrets ? Ne devait-il pas gagner l’amitié et l’alliance de Byzance, d’Abydos, de l’Eubée (140) ? enlever à l’ennemi ses principales forces, et suppléer à ce qui nous manquait ? Tout cela, je l’ai fait par mes décrets, par ma politique. [303] Oui, soumise à un examen impartial, ma conduite, hommes d’Athènes ! n’offre que sages projets exécutés avec intégrité, qu’attention à voir, à saisir, à ne jamais vendre une occasion propice, à faire tout ce qui dépend de la puissance et de la raison d’un seul mortel. Qu’un fatal génie, la fortune, l’inhabileté de nos généraux, la scélératesse des traîtres, peut-être toutes ces causes, aient entraîné la ruine universelle, où est le crime de Démosthène ? [304] Ah ! si chaque ville grecque eût possédé un citoyen tel que j’étais ici à mon poste ; que dis-je ? si un seul Thessalien, un seul Arcadien eût pensé comme moi, pas un Hellène, ni en deçà ni au delà des Thermopyles, ne souffrirait ce qu’il souffre aujourd’hui ! [305] Libres sous leurs propres lois, sans périls, sans alarmes, tous vivraient heureux dans leurs patries ; et leur 399 reconnaissance