Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/107

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Pour égayer le sérieux de cette lettre, je serais tenté, monsieur, de vous raconter en peu de mots un ou deux de ces merveilleux prodiges. Un savant connu, car il y a même eu des gens de lettres qui ont donné dans cette folie, prétendait avoir été guéri au tombeau de M. Pâris d’une surdité qui lui reste encore. Quelque temps après sa guérison, il rencontra un de ses amis, qui, le croyant toujours sourd, lui demanda, en criant, comment il se portait : Ne parlez pas si haut, répondit le savant est-ce que vous ignorez que je suis guéri de ma surdité par l’intercession du bienheureux diacre ? Ah ! dit l’ami, d’un ton plus bas, j’en suis bien aise, et depuis quand êtes-vous guéri ?… Plaît-il ! répondit le sourd.

Le fameux abbé Bécherand, celui qui a inventé les convulsions, avait une jambe plus courte que l’autre : il gambadait sur le tombeau pour tâcher de l’allonger ; le gazetier janséniste donnait chaque semaine le nombre de lignes dont sa jambe était crue ; en ajoutant toutes ces lignes, la jambe ci-devant la plus courte se trouvait plus longue que l’autre.

Voilà, monsieur, à quoi se réduiraient toutes ces merveilles si on leur faisait un honneur qu’elles ne méritent pas, celui de les examiner. Croiriez-vous néanmoins qu’un magistrat, dont la démarche fut à la vérité blâmée des plus sages de ses confrères n’eut pas de honte, il y a environ trente ans, de présenter au roi un gros recueil de ces miracles en plusieurs volumes ? On peut bien assurer qu’il n’y a actuellement dans aucun tribunal du royaume aucun juge qui eut l’imprudence d’en faire autant. Que penserez-vous donc, monsieur, de la prétendue lettre d’un magistrat anonyme, ou plutôt d’un magistrat imaginaire, rapportée dans une des brochures faites contre moi ; lettre qui semble favoriser l’extravagance des convulsions, encore plus dignes que les miracles du mépris de tous les gens raisonnables ? Cette lettre est visiblement supposée ; elle paraît écrite du temps de Grégoire de Tours ou de Pierre Damien : le prétendu magistrat, si embarrassé sur ce qu’on doit penser des convulsionnaires, dit avoir été un de leurs juges ; il faut qu’il y ait été seul de son avis, puisque les autres juges, ses confrères, ont infligé une flétrissure à ces fanatiques, aux chefs la peine du bannissement, aux femmes celle de l’hôpital, pour y être enfermées avec les autres folles de toute espèce. Des personnes sévères, monsieur, ont trouvé cette peine trop douce : je ne puis être de leur avis ; elle serait plutôt, ce me semble, encore trop forte à l’égard d’une sottise épidémique, trop ridicule pour être dangereuse. Il y aurait eu, si je ne me trompe, une punition plus convenable à faire subir aux convulsionnaires, c’est celle que j’ai déjà