Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/108

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proposée, de les contraindre à se donner en spectacle pour de l’argent à la plus vile populace : j’ai assez bonne opinion de notre siècle, pour être persuadé que c’était là le meilleur remède à une pareille maladie.

Ne croyez pas au reste, monsieur, que ces fanatiques, moitié dupes, moitié fripons, soient fort à plaindre de la petite avanie que la Tournelle leur a fait essuyer ; cette légère mortification a fait dire à une dévote janséniste, que leur sort était bien digne d’envie, et qu’ils avaient obtenu la petite oie du martyre. L’expression m’a paru si ridiculement plaisante, que je n’ai pu résister à la tentation de vous en faire part ; c’est la seule de cette espèce que je me permettrai dans cet écrit, car je n’ignore pas le reproche, peut-être bien fondé, qu’on m’a fait, d’avoir un peu trop cité de pareils traits dans l’histoire de la destruction des Jésuites. Permettez-moi cependant de faire à ce sujet une observation. Les plaisanteries que j’ai rapportées dans ce dernier ouvrage doivent moins être regardées comme de bons mots, dignes d’être retenus, que comme des traits de caractère national, bien propres à peindre la légèreté française, qui voit gaîment les choses sérieuses, et gravement les choses frivoles. Il semble qu’il manquerait quelque chose au détail curieux de la destruction des Jésuites en France, si on omettait les épigrammes que cette destruction a occasionnées. Qu’il serait à souhaiter qu’on en usât de la sorte dans le récit de tout ce qui se passe d’un peu important parmi nous ! Quelle excellente histoire ce serait, monsieur, qu’une histoire de France par chansons ! que ce peuple si gentil, comme on l’a très bien qualifié, y serait caractérisé d’une manière naïve et piquante ! que chaque événement y serait consigné avec vérité, et que chacun des hommes qui ont joué ou cru jouer un rôle, y serait peint au naturel ! que de démentis cette histoire si véridique donnerait à l’histoire en forme qui l’est si peu, et surtout à tant d’éloges si indignement prodigués au crédit et à la faveur, à tant d’épîtres dédicatoires, monuments du mensonge et de la bassesse ! mais par malheur un ouvrage si agréable et si utile ne peut exister qu’en idée ; trop de gens, trop de familles, trop de corps seraient intéressés à en demander la suppression.

Comme je ne suis, monsieur, ni chansonnier ni faiseur d’épigrammes, je laisserai à d’autres le soin de nous donner sous cette forme, s’ils l’osent et s’ils le peuvent, l’histoire de la destruction des Jésuites, et je me bornerai à quelques réflexions, moitié tristes, moitié consolantes, sur les circonstances et les suites de cet événement. Ne trouvez-vous pas d’abord que les vrais chrétiens doivent tout à la fois s’affliger et se réjouir du