Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/136

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le repos de la Suède, et de prévenir aussi l’ambition de quelques maisons suédoises, qui auraient pu après sa mort disputer la couronne. On assigna à Charles Gustave un certain revenu pour l’entretien de sa cour. Mais la reine dit que c’était un secret de la famille royale de ne donner aucune terre à un prince héréditaire ; secret qui ne mérite guère ce nom, et que les princes despotiques les plus bornés auront toujours pour maxime. Christine, parle même motif, éloigna toujours des affaires le prince Charles Gustave, pendant qu’elle gouverna la Suède : quoiqu’elle aimât peu le trône, son génie indépendant ne voulait rien qui la gênât, tant qu’il lui plairait de l’occuper.

Ce fut dans ce temps-là qu’arrivèrent les troubles de la France, la guerre de la Fronde, cette guerre, plus fameuse par le ridicule qui la couvrit, que par les maux qu’elle pensa entraîner après elle, l’exil de Mazarin, son retour, son nouvel exil, l’emprisonnement des princes, les assemblées bruyantes du parlement, qui rendait des arrêts pendant qu’on donnait des batailles, et décrétait des armées de prise de corps. L’amour de Christine pour la tranquillité, la crainte que cette guerre civile ne fût l’occasion d’une nouvelle guerre au dehors, et peut-être le goût qu’elle avait toujours conservé pour le prince de Condé, l’engagèrent à prendre part à ces troubles ; elle écrivit à la reine Anne d’Autriche, au duc d’Orléans, aux princes, au parlement même, des lettres qui n’eurent d’autre effet que d’attirer à son résident des plaintes de la cour de France, et des réprimandes de sa part, quoiqu’il n’eût fait que suivre ses ordres. Ces troubles, qui avaient commencé sans elle, finirent bientôt sans sa médiation. Le parlement, qui avait été sur le point de traiter avec cette princesse, fut exilé à Pontoise, et trop heureux d’en revenir pour complimenter, quelques années après, ce même cardinal dont il avait mis la tête à prix. Le prince de Condé, fugitif chez les Espagnols, perdit tout, excepté sa gloire ; et Mazarin resta maître, jusqu’à sa mort, de la reine, du roi et de l’Etat.

L’amour que Christine avait ou affectait pour les hommes illustres, lui fit souhaiter d’attirer auprès d’elle le célèbre Descartes (en 1650), le restaurateur de la philosophie, ignoré en France sa patrie, pour avoir été plus occupé des sciences que de sa fortune, mis à l’index à Rome pour avoir cru sur le mouvement de la terre les observations astronomiques plutôt que les bulles des papes, et persécuté en Hollande pour avoir substitué au jargon des scolastiques la vraie méthode de philosopher. Christine, charmée de quelques écrits de ce grand homme, lui avait fait proposer plusieurs de ces questions de morale que les philosophes agitent depuis long-temps, sans qu’elles soient dé-