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SUR CHRISTINE

que dès son arrivée à Bruxelles, elle commençait déjà à se repentir d’avoir abdiqué : le bruit s’en répandit en Suède ; et le grand chancelier Oxenstiern, alors au lit de mort, ne put s’empêcher de dire : Je lui ai prédit quelle se repentirait de cette démarche ^ mais c’est toujours la fille de Gustave. Ce furent les dernières paroles de ce grand homme.

Déjà Christine préparait son changement de religion, en visitant tous les monastères et toutes les églises qui se trouvaient sur sa route, surtout lorsque ces bâtimens renfermaient quelques curiosités particulières. Enfin, après avoir embrassé la religion catholique à Bruxelles, elle abjura publiquement, en i655, le luthéranisme à Inspruck, et prit cette devise assez peu dévote : Fataviam ingénient, les destins dirigeront ma route.

Cette action fut pour les catholiques un très-grand triomphe ; comme si la manière de penser de cette princesse eût ajouté quelque nouveau degré de force aux preuves sur lesquelles la religion romaine est fondée ; et comme si on ne pouvait pas embrasser une religion vraie par des motifs purement humains. Les protestans au contraire ont témoigné avec aussi peu de raison un grand désespoir de cette démarche. Ils ont prétendu que Christine, indifférente pour toutes les religions, n’en avait changé que par convenance, pour vivre plus à son aise en Italie, où elle comptait se retirer, et jouir des arts que ce pays renferme. Ils allèguent pour preuve de cette indifférence, quelques lettres ou quelques discours de Christine, dont il faudrait que la vérité fut bien attestée pour qu’on put en rien conclure. On prétend, par exemple, que les Jésuites de Louvain lui promett .nit une place auprès de sainte Brigitte de Suède, elle répondit : J aime bien mieux quon me mette entre les sages. On ne peut nier, et une expérience trop malheureuse le prouve, qu’il est bien rare d’embrasser par conviction une religion dont les principes n’ont pas été gravés en nous dès l’enfance. L’intérêt est si souvent le motif d’un tel changement, que les honnêtes gens refusent presque toujours leur estime à ceux même qui abjurent me religion fausse, pour peu qu’ils soient soupçonnés d’avoir eu d’autres vues dans ce changement, que l’amour de la vérité. Si Christine s’est faite catholique pour voir plus à son aise des statues, elle ne mérite pas d’en avoir une ; et si elle a renoncé pour des tableaux à faire du bien à ses peuples, elle est au-dessous des plus méprisables monarques.

Il est certain que pendant son séjour à Rome, elle témoigna beaucoup de goût pour les ouvrages des grands maîtres dont celte ville est remplie. Un jour qu’elle admirait une statue du cavalier Bernin, qui représentait la vérité. un cardinal qui