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lui dire, ni ce qu’elle pourrait dire de lui ; elle le louerait, après l’avoir éclairé, et il jouirait d’avance de son histoire qu’il ne voudrait pas lire. Mais pourquoi les gens de lettres n’auraient-ils pas assez bonne opinion des princes, pour supposer cette défense, et assez de courage pour y obéir comme si elle était faite ? L’histoire, les princes, les peuples leur seraient également redevables.

Après ces réflexions sur l’histoire en général, disons un mot des différentes manières de l’écrire. La plus simple, et en même temps la plus convenable pour celui qui ne veut qu’écrire l’histoire, c’est-à-dire la vérité, est celle des abrégés chronologiques. On y réduit l’histoire à ce qu’elle contient d’incontestable, aux résultats généraux des faits ; et on supprime les détails, toujours altérés par les erreurs ou les passions des hommes. Nous avons depuis quelques années un grand nombre d’abrégés de cette espèce, à la tête desquels on doit placer celui qui a mérité de servir de modèle à tous les autres, l’Abrégé chronologique de l’Histoire de France ; ouvrage également recommandable par l’élégance et la netteté de la forme, par l’exactitude des recherches, par les réflexions et les vues fines que l’auteur y a su répandre, et surtout par une exposition approfondie, quoique succincte en apparence, des principes et des progrès de notre législation.

C’est à cette manière si sage de présenter les faits, qu’on devrait se borner, si les hommes étaient assez raisonnables pour se contenter d’être instruits ; mais leur curiosité inquiète cherche des détails, et ne trouve que trop de plumes disposées à la servir et à la tromper.

On représentait à un historien du dernier siècle, connu par ses mensonges (Varillas), qu’il avait altéré la vérité dans la narration d’un fait ; cela se peut, dit-il, mais qu’importe ? le fait n’est-il pas mieux tel que je l’ai raconté ? Un autre (Vertot) avait un siège fameux à décrire ; les mémoires qu’il attendait ayant tardé trop longtemps, il écrivit l’histoire du siège, moitié d’après le peu qu’il en savait, moitié d’après son imagination ; et par malheur les détails qu’il en donne sont pour le moins aussi intéressants que s’ils étaient vrais ; les mémoires arrivèrent enfin ; j’en suis fâché, dit-il, mais mon siège est fait. C’est ainsi qu’on écrit l’histoire, et la postérité croit être instruite.

Tant de princes, dont on prétend nous peindre le caractère, comme si on avait été leur courtisan, et nous développer la politique, comme si on avait assisté à leur conseil, riraient bien, s’ils revenaient au monde, du portrait qu’on fait d’eux et des