Aller au contenu

Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propre expression, le calice de l’indignation de la société. À peine fut-il en place, qu’on prévit les maux dont il allait être la cause ; et le philosophe Fontenelle dit, en apprenant sa nomination, les jansénistes ont péché.

Le premier exploit de ce jésuite féroce et fougueux, fut la destruction de Port-Royal, où on ne laissa pas pierre sur pierre, et d’où l’on exhuma jusqu’aux cadavres qui y étaient enterrés. Cette violence, exécutée avec la dernière barbarie contre une maison respectable par les hommes célèbres qui l’avaient habitée, et contre de pauvres religieuses plus dignes de compassion que de haine, excita les cris de tout le royaume ; ils ont retenti jusqu’à nos jours ; et les Jésuites même ont avoué, en voyant le spectacle de leur destruction, que c’étaient les pierres de Port-Royal qui leur tombaient sur la tête pour les écraser.

Mais l’indignation que la destruction de Port-Royal excita contre eux, ne fit rien en comparaison du soulèvement général que causa la bulle Unigenitus. On sait que cette bulle fut leur ouvrage ; on sait la réclamation universelle qu’elle produisit dans presque tous les ordres de l’État ; on sait les intrigues, les fourberies, les violences qui furent mises en œuvre pour en extorquer l’acceptation. On se rappelle que Louis XIV étant venu à bout de la faire recevoir, tant bien que mal, par une assemblée de quarante prélats, voyait avec peine neuf évêques qui y restaient opposés ; il aurait désiré, pour la tranquillité de sa conscience, une uniformité entière dans le corps épiscopal ; cela est le plus aisé du monde, lui dit madame la duchesse sa fille, vous n’avez qu’à ordonner aux quarante acceptants d’être de l’avis des neuf autres. Les propositions condamnées étaient pour la plupart si mal choisies, qu’on prétend que Louis XIV, en les lisant dans la bulle, les prit pour les vérités qu’elle ordonnait de croire, en parut édifié, et fut bien surpris, quoique docile, quand son confesseur le détrompa.

Les magistrats ne furent pas les derniers à s’élever contre cette bulle. Ils étaient surtout révoltés de la censure de la proposition XCI : la crainte d’une excommunication injuste ne doit jamais nous empêcher de faire notre devoir. Instruits par les tristes effets des querelles du sacerdoce et de l’Empire durant tant de siècles, ils sentaient combien il était facile de profiter de cette censure pour détacher les peuples, par des menaces d’excommunication, de la fidélité qu’ils doivent à leur souverain. Ils voyaient dans une condamnation si téméraire l’atteinte secrète que les Jésuites et la cour de Rome voulaient porter à nos maximes sur l’indépendance temporelle des rois. On ne pouvait souscrire avec quelque pudeur à l’anathème lancé