Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/52

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fois seulement, de loin à loin, et à petit bruit ; on crut qu’il était temps de lever le masque, et de traiter absolument les ennemis de la bulle Unigenitus comme des hérétiques séparés de l’Église. Si on s’en rapporte à la foule des théologiens constitutionnaires, les deux prélats, auteurs et exécuteurs de ce projet, étaient très bien fondés ; qu’on nous permette de rapporter ici, comme simples historiens, les raisons qu’on alléguait en leur faveur, et celles qu’on leur opposait. La bulle Unigenitus, disaient ses partisans, mal accueillie sans doute, et même conspuée à sa naissance, avait fini par être unanimement reçue ; il n’y avait dans tout le monde chrétien aucun évêque qui réclamât contre cette production, bonne ou mauvaise, de la cour de Rome ; on avait beau dire quelle renversait les principes du christianisme, que l’acceptation n’en avait pas été libre, que les uns l’avaient reçue par crainte, les autres par intérêt ; elle était acceptée, et sans opposition, par tout le corps des pasteurs ; voilà, dans les principes de l’Église catholique, tout ce qui doit servir de boussole aux simples fidèles dans leur foi. Ce n’est point à eux à examiner ni les dogmes en eux-mêmes, ni la nature de l’acceptation ; il leur suffit de voir clairement que l’Église visible les adopte ; on entend ici par l’Église visible, ce que tout catholique entend par ce mot, c’est-à-dire le pape, les évêques, et presque tous les ecclésiastiques séculiers et réguliers du second ordre. Quelle que soit la doctrine que cette Église visible enseigne, le fidèle doit croire fermement, nonobstant même les apparences contraires les plus fortes, qu’elle l’a toujours enseignée ; autrement Jésus-Christ n’aurait pas dit vrai en promettant à cette Église d’être toujours avec elle. Les passages de l’Écriture et des pères, qui paraîtraient le plus évidemment contraires au nouveau catéchisme, s’expliqueront d’une manière qui y sera favorable ; l’Église a seule le droit d’en fixer le sens. En un mot, dès qu’elle a parlé, il faut se soumettre quoiqu’elle dise. Il s’en fallait de beaucoup qu’après le concile de Nicée, la divinité de Jésus-Christ fut aussi solennellement, aussi universellement, aussi uniformément reçue par le corps des pasteurs, que la bulle Unigenitus l’a été dans ces derniers temps. Cependant, après le concile de Nicée, les ariens étaient des lors hérétiques avérés, malgré les partisans qui leur restaient. Il se peut, il est même hors de doute que dans les conciles qui ont décidé des matières de foi, bien des évêques ont opiné pour la bonne cause sans examen, sans lumières, ou même par des vues de politique, d’intérêt ou de passion. Témoin la malheureuse facilité avec laquelle la plupart des prélats qui, sous Constantin, avaient déclaré que le Verbe était Dieu, décla-