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ÉLOGE

la reconnaissance même a bien de la peine à souffrir quand il est injuste. Le rival ne voulait plus être traité en disciple : il semblait harceler, quoique légèrement, son ancien maître, qui n’était pas homme à le souffrir ; et les questions fréquentes que Jean Bernoulli proposait aux mathématiciens dans les Actes de Leipsick, étaient des attaques indirectes qui s’adressaient à son aîné. Celui-ci se crut enfin assez provoqué pour en venir à un coup d’éclat : faisant donc un dernier effort, il proposa publiquement à son frère le fameux problème des isopérimètres, et joignit même à son cartel la promesse d’une certaine somme. Il fallait trouver parmi toutes les courbes de même longueur qui passent par deux points donnés, celle qui renferme avec la ligne droite tirée entre ces deux points, le plus grand espace possible, et celles qui, en tournant autour de cette ligne droite, engendrent le solide le plus grand, la surface courbe la plus grande, etc. La question fut même proposée avec plus de généralité que nous ne lui en donnons dans cet énoncé. On n’ignorait pas que de toutes les figures isopérimètres, c’est-à-dire d’un égal contour, le cercle est celle qui renferme le plus grand espace ; mais voilà tout ce qu’on savait sur cette matière : il restait à trouver, par une méthode nouvelle et analytique, que le cercle avait en effet cette propriété ; il restait à déterminer par cette même méthode la courbe qui, par sa révolution, forme la plus grande surface, celle qui donne le plus grand solide, etc. ; enfin à trouver une infinité d’autres courbes fort différentes du cercle.

Jean Bernoulli résolut assez promptement toutes les questions de son frère ; mais il donna sa solution sans analyse. Son adversaire prétendit que la solution était défectueuse, et non-seulement ne se crut point débiteur de la somme, mais s’engagea publiquement à trois choses : 1o. À deviner au juste l’analyse de son frère ; 2o. quelle qu’elle fût, à y faire des paralogismes, si on la voulait publier ; 3o. à donner la solution complète du problème ; ajoutant que s’il trouvait quelqu’un qui s’intéressât assez à l’avancement des sciences pour proposer quelque prix sur chacun de ces points, il s’engageait à perdre autant, s’il ne s’acquittait pas du premier ; le double, s’il ne s’acquittait pas au second ; le triple s’il manquait au troisième. On verra par la suite de ce récit qu’il ne risquait rien, au moins sur les deux derniers articles. Cette altercation produisit, de la part des deux frères, plusieurs écrits, oii l’aigreur semble quelquefois prendre la place de l’émulation ; mais puisque l’un des deux avait tort, il fallait bien que l’un des deux se fâchât.

L’Académie des sciences de Paris fut prise pour juge du différend ; et c’était l’arbitre le plus respectable que pussent choisir