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par des vestales. Il nommait héritiers Tibère et Livie, et adoptait celle-ci dans la maison des Jules avec le nom d’Augusta. Au second degré, il nommait ses petits-fils et arrière-petits-fils ; au troisième, les principaux de l’État, quoiqu’il les détestât pour la plupart ; mais sa vanité ambitionnait les éloges de la postérité.

On délibéra ensuite sur ce qui honorerait le plus sa pompe funèbre : Gallus Asinius proposa de la faire passer par la porte triomphale ; Sextus Apuleius, de porter à la tête du convoi les titres des lois d’Auguste, et les noms des peuples qu’il avait vaincus. Valerius Messala fut aussi d’avis de renouveler chaque année le serment à Tibère : l’empereur lui ayant demandé si c’était à son instigation qu’il opinait ainsi, il répondit que c’était de son propre mouvement, et que dans ce qui intéressait l’État, il ne prenait conseil de personne, au risque même de déplaire. Il ne restait plus à employer que ce genre d’adulation (15).

Les sénateurs s’écrient qu’ils porteront le corps au bûcher sur leurs épaules. Tibère (16), avec une orgueilleuse modestie, les en laissa maîtres. Il avertit le peuple par un édit, de ne point troubler les funérailles, comme celles de César, par excès de zèle, et de souffrir qu’Auguste fût brûlé, non dans le forum, mais au champ de Mars destiné pour cet objet. Le jour du convoi, on plaça des soldats comme en sentinelle ; sujet de risée pour ceux qui avaient vu ou entendu déplorer à leurs pères ce jour où la liberté secouait en vain des chaînes récemment forgées, où le meurtre du dictateur César paraissait un acte de scélératesse aux uns, et d’héroïsme aux autres : Mais Auguste', disait-on, ayant vieilli dans le despotisme, et assuré par ses successeurs l’asservissement de l’État, qu’avait-on besoin de troupes pour la tranquillité de ses obsèques ?

Ce prince fut diversement jugé. La multitude appuyait sur des remarques frivoles ; qu’il était mort à Nole, dans la même chambre que son père Octave, et à pareil jour de son élévation à l’empire ; qu’il avait été autant de fois consul que Valerius Corvinus et C. Marius ensemble, revêtu trente-sept ans de suite de la puissance tribunitienne, décoré vingt et une fois du nom d’imperator[1], et ainsi des autres honneurs multipliés ou imaginés pour lui. Mais les citoyens sensés se partageaient pour louer ou censurer sa vie. Les uns disaient que sa tendresse pour son père[2] et les besoins de l’État, où les lois étaient sans pouvoir, l’avaient forcé à la guerre civile, qui ne pouvait ni se pré-

  1. Nom que les soldats romains donnaient à leurs généraux après une victoire signalée.
  2. C’est-à-dire, pour César, qui l’avait adopté.