Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/57

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parer ni se soutenir par des moyens honnêtes ; qu’il avait tant, accordé à Marc-Antoine et à Lépide, pour punir les meurtriers de son père, que l’imbécile vieillesse de l’un, et les débauches devenues funestes à l’autre, laissaient pour toute ressource à la patrie déchirée le gouvernement d’un seul ; qu’Auguste l’avait accepté, non sous le titre de roi ou de dictateur, mais de chef de la république ; qu’il avait étendu l’Empire jusqu’à l’Océan et aux fleuves les plus éloignés ; réuni vers un même but les légions, les provinces, les flottes ; rendu la justice aux citoyens ; ménagé les alliés (17), enfin décoré magnifiquement la capitale ; qu’il n’avait employé la force que très-rarement, et pour le bien général.

D’autres répliquaient que sa tendresse pour son père et les besoins de l’État avaient servi de masque à son ambition ; qu’il avait gagné les vieux soldats par des largesses, levé des troupes, quoique jeune et particulier, corrompu les légions du consul, et feint de se déclarer pour le parti de Pompée ; qu’ayant envahi, par un décret du sénat, les faisceaux et la préture, et s’étant défait d’Hirtius et de Pansa, soit par l’ennemi, soit en faisant empoisonner la blessure de Pansa, et assassiner Hirtius par des soldats gagnés, il s’était emparé de leurs troupes ; qu’il avait extorqué le consulat malgré le sénat, et tourné contre la république les armes qu’elle lui mettait à la main contre Antoine ; que ses proscriptions et ses distributions de terres n’étaient pas même louées de ceux qui en avaient joui (18) ; qu’il avait pu immoler Cassius et les Brutus[1] aux mânes de son père, quoiqu’il eut peut-être dû sacrifier sa haine au bien public ; mais qu’il avait trompé Sextus Pompée par une fausse paix, Lépide par une fausse amitié ; qu’Antoine, endormi et joué par les traités de Tarente et de Brindes, et par son mariage avec Octavie[2], avait payé de sa vie cette alliance perfide ; qu’à la vérité la paix était venue, mais ensanglantée par la défaite de Lollius et de Varus, et à Rome par le meurtre des Varrons, des Egnatius des Jules. On lui reprochait jusqu’à sa vie privée ; Livie enlevée à son mari, et l’indécente question faite aux pontifes, s’il était permis d’épouser une femme grosse ; le luxe scandaleux d’Atedius et de Vedius Pollion ; enfin Livie, mère funeste à l’État, plus funeste à la maison des Césars ; les honneurs des dieux envahis par ses temples et ses statues, et par le culte qu’il exigeait des prêtres ; Tibère choisi pour successeur, non par amour pour lui ou pour l’État, mais par une connaissance réfléchie de sa cruauté et de son orgueil, et par l’espoir d’un parallèle avanta-

  1. M. Brutus, l’assassin de César, et Decimus Brutus, un des conspirateurs.
  2. Sœur d’Auguste.