Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/92

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d’autres pouvaient à peine soutenir l’entretien de leurs proches, et supporter le jour ; qu’il ne les accusait pas de faiblesse, mais trouvait dans le sein de la république une plus puissante consolation. » Déplorant ensuite l’extrême vieillesse de sa mère, l’âge encore tendre de ses petits-fils, et le déclin du sien, il demanda qu’on fît entrer les enfans de Germanicus, la seule ressource de l’État dans son malheur. Les consuls sortirent, et après avoir rassuré ces enfans, les conduisirent devant Tibère. « Sénateurs, dit-il en les prenant par la main, j’ai remis ces princes à leur oncle après la mort de leur père, et l’ai prié, quoiqu’il eût des enfans, d’avoir soin de ceux-ci comme des siens, de les former pour lui-même et pour la postérité. Drusus leur est enlevé ; c’est à vous que j’adresse mes prières en présence des dieux et de la patrie ; adoptez, conduisez ces petits-fils d’Auguste, reste précieux de tant de grands hommes ; remplissez votre devoir et le mien. Néron, Drusus, vous n’avez plus que le sénat pour père ; dans le rang où vous êtes nés, votre bonheur ou votre malheur est celui de l’État. »

Ce discours fut reçu avec des pleurs abondantes et des vœux pour Tibère. S’il en fût resté là, il eût intéressé l’assemblée et mérité son estime ; mais étant retombé dans ses offres vaines et ridicules, de remettre aux consuls ou à d’autres le gouvernement, on cessa même de croire ce qu’il avait dit de vrai et d’honnête.

Vers ce même temps, il courut un péril qui fortifia sa confiance dans l’amitié de Séjan. Ils étaient à table, à la campagne, dans une grotte naturelle ; des pierres se détachant tout à coup de l’entrée, écrasèrent quelques domestiques ; les assistans et les convives effrayés s’enfuirent. Séjan couvrant le prince de ses genoux, de son visage et de ses mains, arrêta la chute des pierres, et fut trouvé dans cette attitude par les soldats qui vinrent au secours. Son pouvoir en augmenta ; quoiqu’il donnât des conseils funestes, il était cru, comme ne s’occupant point de lui.

Disgrâce de Silius.

Plusieurs croyaient que Silius, par son indiscrétion, avait ulcéré l’empereur, s’étant trop vanté que son armée seule était restée dans le devoir ; et que si elle avait remué comme les autres, Tibère aurait perdu l’Empire. Par là l’empereur se croyait dégradé, et comme hors d’état de s’acquitter envers lui ; car on est touché : des bienfaits, tant qu’on croit pouvoir les payer ; s’ils sont au dessus de la reconnaissance, elle se change en haine. Silius prévint par une mort volontaire la condamnation dont il était menacé.