Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/115

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a quelques jours, à un des avocats de la veuve Calas, que sa requête ne serait point admise, parce qu’il y avait en France plus de magistrats que de Calas ? Voilà où en sont ces pères de la patrie.

En attendant que vous répondiez à Caveirac, qui n’en vaut pas la peine, le châtelet vient de décréter ce Caveirac de prise de corps, pour avoir fait l’Appel à la raison en faveur des jésuites. Tous ces fanatiques en appellent de part et d’autre à la raison ; mais la raison fait pour eux comme la mort :

La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles,
Et les laisse crier.

On dit que le frère Griffet pourrait bien se trouver impliqué dans l’affaire de Caveirac, qui très sagement a pris la fuite. Notez que ledit Caveirac est l’auteur de l’Apologie de la Saint-Barthélemi, pour laquelle on ne lui a pas dit plus haut que son nom ; mais on veut le pendre pour l’Apologie des jésuites. Au surplus, pourvu qu’il soit pendu, n’importe le pourquoi. Le parlement vient déjà de faire pendre un prêtre pour quelques mauvais propos ; cela affriande ces messieurs, et l’appétit leur vient en mangeant. Adieu, mon cher et illustre maître.


P. S. Damilaville, qui sort d’ici, m’a dit qu’il vous enverrait la Renommée littéraire. On dit qu’il y en a une seconde feuille. On dit aussi que Le Brun a pour associé un abbé Aubry, qui est apparemment un descendant d’un bâtard d’Aubry-le-Boucher.

Nous n’avons point encore reçu à l’Académie l’Héraclius de Caldéron ; je le crois sans peine digne d’être placé à côté du César de Shakespeare. À propos de Caldéron et de Shakespeare, que dites-vous du mausolée qu’on fait élever à Crébillon ? Je crois que vous pouvez être tranquille ; ce mausolée-là sera bien son tombeau, et ne sera pas le vôtre. Voilà le premier monument que le ministère élève aux lettres ; il semble qu’on aurait pu commencer plus tôt et commencer mieux. Adieu, mon cher philosophe ; je suis actuellement absorbé dans la géométrie ; on m’a reproché que je n’en faisais plus, et de rage j’ai donné deux volumes de diablerie l’an passé, et j’en vais encore donner deux. Damilaville m’a montré ce que vous dites de l’Encyclopédie dans l’Histoire générale ; vous avez bien fait de retrancher ce qui regarde le parlement ; vous avez pourtant toute raison, mais ces messieurs ne l’entendent pas. Adieu, encore une fois.