Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/138

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Nosseigneurs de la classe de Paris ont prétendu être essentiellement et uniquement la cour des pairs. Nosseigneurs des autres classes en ont mis leur bonnet de travers ; et en conséquence, parce qu’ils n’ont pu faire rouer le duc de Fitz-James, frère d’un évêque janséniste, leur bon ami, ils laissent au milieu de nous ces hommes qu’ils ont déclarés empoisonneurs publics, assassins, cartouchiens, sodomites, etc. Il y a bien à tout cela de quoi rire un peu de l’esprit conséquent qui dirige toutes les démarches de ces messieurs, et de l’esprit patriotique qui les anime.

J’ai reçu une belle et grande lettre de votre ancien disciple, pleine d’une très saine et très utile philosophie. C’est bien dommage que ce prince philosophe ne soit pas, comme autrefois, le meilleur ami du plus aimable et du plus utile de tous les philosophes de nos jours. Que ne donnerais-je point pour que cela fût !

J’oubliais vraiment un article de votre dernière lettre qui mérite bien réponse. Si vous êtes amoureux, dites-vous, restez à Paris. À propos de quoi me supposez-vous l’amour en tête ? Je n’ai pas ce bonheur ou ce malheur-là ; et mes entrailles sont d’ailleurs trop faibles pour avoir besoin d’être émues par autre chose que par un dîner qui leur donne assez d’occupation pour qu’elles n’en cherchent point ailleurs. J’imagine bien qui peut vous avoir écrit cette impertinence, et à propos de quoi ; mais il vaut mieux qu’on vous écrive que je suis amoureux, que si on vous mandait des faussetés plus atroces dont on est bien capable. On n’a voulu que me rendre ridicule, et ce ridicule-là ne me fait pas grand mal. Je craindrais bien plus le ridicule de ne pas digérer un peu et rire beaucoup, voilà à quoi je borne mes prétentions.

Mes amours prétendus me rappellent une chose charmante que j’ai lue sur l’amour-propre dans ce dictionnaire du diable ; que l’amour-propre ressemble à l’instrument de la génération qui nous est nécessaire, qui nous fait plaisir, mais qu’il faut cacher. Cette comparaison est aussi charmante que juste. L’auteur aurait pu ajouter qu’il y a cette seule différence entre l’instrument physique et le moral, que le priapisme est l’état naturel et perpétuel du second, et que dans l’autre c’est une maladie dont frère Thiriot aurait pu nous donner autrefois des nouvelles, mais dont par malheur il est bien guéri. Adieu, mon cher philosophe et mon illustre maître.