Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/211

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La difficulté est d’avoir un compagnon de voyage ; car dans l’état où je suis, je ne voudrais pas aller seul. Une autre difficulté encore plus grande, c’est l’argent que je n’ai pas. Beaucoup d’amis m’en offrent, mais je ne serais pas en état de le rendre, et je ne veux l’aumône de personne. J’ai pris le parti d’écrire, il y a huit jours, au roi de Prusse, qui m’avait déjà offert, il y a sept ans, quand j’étais chez lui, les secours nécessaires pour ce voyage que je me proposais alors de faire. J’attends sa réponse, ainsi que celle d’un ami à qui j’ai proposé de m’accompagner, et pour lors je vous écrirai ma dernière résolution.

Jean-Jacques est un méchant fou et un plat charlatan ; mais ce fou et ce charlatan a des partisans zélés. C’est, sans doute, tant pis pour eux. Cependant je veux éviter, si je puis, et les noirceurs de Rousseau et le mal que ses partisans me pourraient faire. Ainsi je n’aurai ni de près, ni de loin, ni en bien, ni en mal, aucune relation avec ce Diogène. Ne trouvez-vous pas bien étonnant que depuis un mois il aille tête levée dans Paris, avec un décret de prise de corps ? Cela n’est peut-être jamais arrivé qu’à lui ; et cela seul prouve à quel point il est protégé.

Je vous ai déjà mandé mon sentiment sur le Système de la nature ; non, en métaphysique, ne me paraît guère plus sage que oui ; non liquet, est la seule réponse raisonnable à presque tout. D’ailleurs, indépendamment de l’incertitude de la matière, je ne sais si on fait bien d’attaquer directement et ouvertement certains points auxquels il serait peut-être mieux de ne pas toucher. J’ai reçu l’écrit du roi de Prusse, et je lui ai fait part de mes réflexions sur ces objets, grands ou petits ; grands par l’idée que nous y attachons, petits par le peu d’utilité dont ils sont pour nous, comme le prouve leur obscurité même. L’essentiel serait de se bien porter, soit en ce monde, soit en l’autre ; mais hoc opus, hic labor est. Adieu, mon cher ami ; je me fais d’avance un plaisir de l’espérance de vous embrasser encore.


Paris, 9 auguste 1770.


Je ne perds pas un moment, mon cher et illustre ami, pour vous apprendre que je reçois à l’instant même la réponse du roi de Prusse ; non seulement il souscrira et ne refusera rien, dit-il, pour cette statue, mais la grâce qu’il y met est mille fois plus flatteuse pour vous que sa souscription même ; la manière dont il parle de vous, quoique juste, mérite, j’ose le dire, toute votre reconnaissance ; je voudrais que cette lettre pût être gravée au bas de votre statue ; je voudrais vous envoyer copie de cette