Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/235

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ment, ou de ses vils ennemis, ou de ses soi-disant protecteurs. Je sais du moins, et j’apprends tous les jours davantage, et à mon grand regret, qu’elle doit prendre pour sa devise, ne t’attends qu’à toi seule ; bien entendu que ceux qui la persiflent n’attendront non plus d’elle que la justice et la vérité. Quoi qu’il en soit, je désirerais au moins de la personne que vous appelez singulière, et qui pourrait mériter un plus beau nom si elle le voulait, une réponse quelconque, honnête ou non, philosophique ou impériale, grave si elle le veut, ou plaisante si elle le peut ; je la joindrai à mes deux lettres, et je mettrai au bas ces deux mots de Tacite, per amicos oppressi, qui me paraissent si bien convenir aux malheureux philosophes.

Quant à Childebrand, je souhaite qu’il vous soit utile, et à cette condition je vous pardonnerais de l’amadouer, je vous y exhorterais même.

Qu’importe de quel bras Dieu daigne se servir !


Mais j’ai peur que vous n’en soyez pour vos caresses, et que Childebrand ne se moque de vous. Il est trop vil pour oser élever sa voix, dans le pays du mensonge, en faveur du génie calomnié et persécuté.

Quoi qu’il en soit, mon cher ami, ô et præsidium et dulce decus meum, j’attends avec impatience le recueil proscrit que vous m’annoncez du bel esprit genevois ; j’y verrai la lettre sur les deux puissances, et je souhaite d’être convaincu, après cette lecture, que la puissance temporelle n’a rien à se reprocher. Ainsi soit-il ! mais ce que je désire bien davantage, c’est de vous savoir en meilleure santé, et de pouvoir dire aux ennemis de la philosophie qui demanderont de vos nouvelles, il se porte trop bien pour vous. Adieu, mon cher maître, conservez-vous et aimez-moi comme je vous aime.


13 mai 1773, je ne voudrais pas dater du 14.


Je me hâte, mon cher et illustre ami, de vous faire part d’une nouvelle qui ne peut manquer de vous être agréable. M. le duc d’Albe, un des plus grands seigneurs d’Espagne, homme de beaucoup d’esprit, et le même qui a été ambassadeur en France, sous le nom de duc d’Huescar, vient de m’envoyer vingt louis pour votre statue. La lettre qu’il m’écrit à ce sujet est pleine des choses le plus honnêtes pour vous. Condamné, me dit-il, à cultiver en secret ma raison, je saisirai avec transport cette occasion de donner un témoignage public de ma gratitude et de mon admiration au grand homme qui le premier m’en a montré le che-