croire que vous vous portez mieux. Il fallait en vérité être bien malade pour ne pas s’ennuyer de la vie que vous meniez depuis neuf mois, et je commence à croire que vous ne l’êtes plus, puisque cette vie commence à vous déplaire : vous parlez de votre état passé avec un effroi qui me divertit ; je me flatte qu’au moins cet effroi servira à ne vous y pas replonger. Au reste, vous faites très bien de ne pas vous en vanter, quoique au fond vous n’ayez rien fait que de très raisonnable : vous vous déplaisiez à Paris, vous avez cru que vous vous trouveriez mieux à Chamron, vous y avez été, cela est naturel : vous vous êtes ennuyée à Chamron : vous avez essayé de Mâcon, vous ne vous en trouvez guère mieux ; vous brûlez de revoir Paris, cela est naturel. Voilà la confession de mademoiselle de Clermont. En vérité, il vous est très aisé, même en dînant, de mener à Paris une vie agréable : je vous y verrai le plus souvent qu’il me sera possible : mais je n’irai guère dîner avec vous que quand vous ne craindrez pas que je vous ennuie en tête à tête ; car je suis devenu cent fois plus amoureux de la retraite et de la solitude, que je ne l’étais quand vous avez quitté Paris. Je dîne et soupe chez moi tous les jours, ou presque tous les jours, et je me trouve très bien de cette manière de vivre. Je vous verrai donc quand vous n’aurez personne, et aux heures où je pourrai espérer de vous trouver seule. Dans d’autres temps j’y rencontrerais votre président, qui m’embarrasserait parce qu’il croirait avoir des reproches à me faire, que je ne crois point en mériter, et que je ne veux pas être dans le cas de le désobliger en me justifiant auprès de lui. Ce que vous me demandez pour lui est impossible, et je puis vous assurer qu’il est bien impossible, puisque je ne fais pas cela pour vous. En premier lieu, le Discours préliminaire est imprimé il y a plus de six semaines, ainsi je ne pourrais pas l’y fourrer aujourd’hui, même quand je le voudrais ; en second lieu, pensez-vous de bonne foi, madame, que dans un ouvrage destiné à célébrer les grands génies de la nation et les ouvrages qui ont véritablement contribué aux progrès des lettres et des sciences, je doive parler de l’Abrégé chronologique ? C’est un ouvrage utile, j’en conviens, et assez commode, mais voilà tout en vérité : c’est là ce que les gens de lettres en pensent ; c’est là ce que l’on en dira quand le président ne sera plus : et quand je ne serai plus, moi, je suis jaloux qu’on ne me reproche pas d’avoir donné des éloges excessifs à personne. Si vous prenez la peine de relire mon Discours préliminaire, vous y verrez que je n’y ai loué Fontenelle que sur la méthode, la clarté et la précision avec laquelle il a su traiter des matières difficiles, et
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