Aller au contenu

Page:D’Anjou - Vagues d’amour, 1918.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

VAGUES D’AMOUR


PROLOGUE

I

Le rêveur dans la nuit


Jules Hallay décidément ne pouvait s’endormir. Le soir, on avait sablé gaîment le champagne entre amis et le cœur du vieux marin battait plus vif et plus chaud que de coutume. On avait ri, et même, au dessert, il y était allé de sa petite chanson, la voix toujours jeune et doucement caressante. C’était l’anniversaire de sa femme ; les voisins des villas de la côte étaient venus avec le maire du pays, et l’on s’était trouvé une vingtaine pour fêter la jolie Rosa dont l’entrain Joyeux avait trouvé la riposte aux toasts et aux vœux.

— À toi ! ma Rose, la fleur de ma vie.

— Rose d’automne, ami !

— Qui. depuis trente années parfumée mon jardin, bien plus rare que rose d’avril, donc bien plus appréciée, riposta Jules Hallay, souriant.

Autour de la table des applaudissements partirent en toute sincérité. C’était tellement vrai !

Mme Hallay, avec ses brillants yeux noirs, ses dents de nacre. ses cheveux bruns, n’avait aucunement l’aspect d’une aïeule, et lui, malgré sa moustache grise, restait robuste, droit, d’allure martiale.

Ils représentaient encore un beau couple d’amoureux que le mariage successif de leurs trois enfants avait rendus à l’ancienne solitude de leur lune de miel. Ils étaient ravis de se retrouver comme au début de leur union, moins les soucis de carrière et d’argent et, en plus, la sûreté de leur amour fidèle.

Jules Hallay, donc, était sorti sans bruit de sa chambre. Le vent avait soufflé en tempête toute la journée. La pluie n’avait cessé de tomber que vers le soir, heureusement pour ses invités. A présent, régnait un silence profond, troublé seulement par le murmure lointain des vagues traîtresses !.… parfois, un vol lourd de chouette, un hululement de chat-huant, l’aboi court d’un chien ou d’une querelle de matous sur les murs.

— Quel temps bizarre, se disait-il, il fait à peine froid ! et pourtant nous sommes à la fin d’octobre !…

Ce disant, il leva les yeux et juste une étoile filante traversa l’horizon..

— Bon présage ! une nouvelle heureuse pour demain |…

La pensée du guetteur d’étoiles s’arrêta net à cet instant sur le chemin stellaire et s’accrocha plus bas, presque au ras des flots où réellement une chose insolite accourait, C’était une faible lumière scintillante de bas en haut et, de haut en bas suspendue, semblait-il, à une sphère sombre :

— Qu’est ceci ?… ma parole ! on dirait un ballon, à cette heure, un pauvre ballon perdu ! sans doute. D’où peut-il arriver ?… Ah ! le pauvre ! il est à bout de souffle ! va-t-il pouvoir toucher la côte ?…

— Jules, mais tu es fou !… ne peux-tu songer que la nuit est faite pour dormir ? Allons, rentre vite, au lieu de prendre froid !

C’était la voix effarée de Rosa qui appelait son mari.