Aller au contenu

Page:D’Anjou - Vagues d’amour, 1918.djvu/7

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cochette piquait du nez au creux des vagues, se relevait comme un cheval qui se cabre et replongeait craquant, roulant ses hanches, embarquant des paquets d’eau. .

— Faut larguer la grand’voile, fit Langouste, gravement.

Il prit la corde des mains gourdes de l’enfant et, malgré la toile claquante qui le souffletait, il parvint à la rouler.

L’eau filait sous la barque, pleine de grands brins de goémon, elle était glauque ; des poulpes traversaient de sillage, noyés, déchirés et quelques mouettes rasaient l’écume.

— Ça moutonne ferme autour de la roche percée, papa, remarqua Albert, allons-y. Ce qu’on y danserait !

Le père sourit, fier de la bravoure de son fils, mais il mit le cap sur la côte ouest des Evins pour que le vent engrève la barque dans le sable mou. La marée était basse, donc le jusant renflouerait la Ricochette pour le départ.

— Vous ne ferez pas de bonne chasse aujourd’hui, patron, dit le matelot, y a du monde aux Evins, les oiseaux seront dérangés.

— Du monde par ce temps !

— Regardez, je vois toujours bien deux hommes, ils agitent des mouchoirs blancs comme des naufragés.

— Ma parole, c’est juste. Ah ! bien je suis joliment content d’être venu, riposta le Parisien. Tiens-toi solide. Albert, on va atterrir rudement.

Le spectacle que les arrivants avaient sous les yeux les cloua sur place, sans mot, puis tous les trois se découvrirent en se signant.

Sur une couverture posée à même le sable sec, un corps rigide était étendu, à ses pieds, callé par des pierres, un fanal allumé brûlait ; on avait disposé à hauteur de sa poitrine des coquillages roses en forme de croix, et, à genoux, les mains jointes, semblables à une statue de la Douleur, une jeune femme regardait fixement, le visage blême. Son manteau à demi arraché, son chapeau emporté sans doute à la mer, on voyait ses longs cheveux bruns voltiger dans tous les sens.

Sur la rive, la vague soulevait et abandonnait tour à tour, la pauvre loque qui avait voltigé dans les airs et gisait dégonflée, déchirée, envahie de goémons. La nacelle chavirée, roulée, dansait sur des flots.

Plus loin, un canot gisait, jeté sur le flanc la coque trouée et deux matelots contemplaient cette seconde épave d’un air navré.

À la vue des arrivants, un des matelots se détacha du canot et vint au devant d’eux.

— Ah ! monsieur de Loustraye, Dieu soit loué !…

— Monsieur Kergarec, à votre service !

— Un accident, un terrible et funeste accident ! Nous étions venus au secours mais notre barque a accosté trop rudement. Nous avons touché. Elle n’est pas en état de transporter la victime. Votre bateau peut-il nous embarquer tous ? sinon, moi et mon matelot nous attendrons ici.

— Vous pouvez venir, répondit le Parisien, voyez, le vent mollit. Où voulez vous aborder ?.. Au Pouliguen ?

— Non, pouvez-vous nous déposer au vieux Pornichet ?…

— Certainement, monsieur.

Silencieusement les deux matelots enlevèrent le corps pour le coucher doucement au fond du sloop de M. de Loustraye.

Chacun se casa comme il put, respectant le silence et la douleur de la jeune femme, assise au fond du bateau près de son compagnon, à jamais endormi.