Page:D’Argens - La philosophie du bon sens.djvu/409

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Je crois qu’il en eſt des grands Philoſophes comme des grands Poëtes : ils s’égarent quelquesfois. Qu’auroit dit le Pere Mallebranche, ſi Montagne avoit ſoutenu, que l’Ame ne pouvoit être immortelle, parce qu’il ne concevoit pas comment elle pourroit l’être ? Il n’eût pas manqué de lui dire : Vous n’êtes pas en Droit de nier qu’une Choſe ne puiſſe étre, parce que vous ne concevez pas comment elle ſe fait. Tout ce que vous pouvez faire eſt de nier qu’elle puiſſe être, lorſque vous en connoiſſez évidemment l’Impoſſibilité. Ainſi, quoique le Pere Mallebranche ne comprenne pas comment les Bêtes peuvent avoir une Ame matérielle, il n’eſt pas fondé à aſſûrer, comme il fait, qu’elles évitent machinalement, & ſans crainte, tout ce qui eſt capable de les détruire ; … qu’elles mangent ſans plaiſir ; qu’elles crient ſans douleur ; quelles croiſſent ſans le ſavoir ; qu’elles ne deſirent rien, & ne craignent rien ; qu’elles ſont, enfin, de pures Machines, que Dieu conſerve.

Plus j’éxamine cette Opinion, plus je la trouve extraordinaire, & contraire à toutes nos Notions. Le plus petit Animal, une Fourni, une Abeille, dément ce Sentiment, qui n’eſt fondé que