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LE ROI

secrets des feuilles, à la bienfaisance des fontaines, aux maléfices, aux sorts, chantait au gui l’an neuf et adorait le feu le jour de Saint-Jean. Il nourrissait le pays, et le pays s’en riait. Les siècles, sans émotion, l’avaient vu chaque matin défoncer la terre, y recueillir la vie des autres, et à côté de son blé, parfois, paître l’herbe « à la manière des bêtes ». Epargneur, endurant, revenu sous son toit et mêlé à ses animaux, il vivait de pain noir, de la lourde « mache » cuite pour trois jours et de fèves « qui font gros souper ». Jamais d’âtre flambant, un feu de marionnette : trois tisons et une bûchette. Ni linge ni horloge. Amassées dans un sac de toile, les plumes des oiseaux lui faisaient un lit misérable où s’enfantaient par surprise de petits petiots sans gaieté, marmousets poussés à la hâte, n’ayant appris du recteur qu’un geste d’église et que quelques mots de latin : le signe de la croix et une vaine prière que Dieu n’entendait jamais. Un chant désolé que savait par cœur la campagne disait doucement d’eux : « Ce pauvre laboureur n’a trois petits enfants, les mit à la charrue à l’âge de dix ans. » Le père mourait enfin ; restait un dur parâtre : le sol. Chacun héritait d’un morceau de terre, tous d’une même douleur. Une seule éclaircie enchantait ce long crépuscule : l’amour. L’homme choisissait au village quelque maigre fille aperçue à la source battant son linge, mais elle avait comme lui la même histoire, les mêmes yeux résignés, la même âme dans la même prison ; tel grain, telle re-