Page:D’Haussonville - Souvenirs et mélanges.djvu/26

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de politique à cause de son âge, déjà éloigné par caractère de toute exagération, se demandait vers quel côté il se sentait le plus entraîné, quel parti il lui conviendrait d’embrasser, quand, un soir, le 1er octobre 1791, rentrant du bal de l’Opéra, il reçut de son père ordre de monter chez lui. Mon grand-père, malgré l’heure avancée, était assis devant son bureau ; il remit à mon père une lettre qu’il achevait d’écrire au marquis de Vaubecourt, un passe-port et un sac de peau contenant 300 louis ; il lui dit qu’il avait fait choix d’un piqueur de la Louveterie pour l’accompagner, et qu’il fallait qu’il partît le lendemain pour l’armée des Princes. « Moi, je reste. Le Roi me l’a demandé, je l’ai promis et je puis lui être utile. Quitter la France en ce moment n’est guère raisonnable, mais, à votre âge, il faut faire ce que font les jeunes gens de sa génération. »

Mon père ne fit aucune objection à cette manifestation d’une volonté qu’il était si habitué à respecter ; cette fois, comme toujours, elle n’était accompagnée d’aucune explication. Mon père sentait bien, au fond du cœur, qu’il était en âge d’avoir un avis sur une pareille détermination, et qu’il aurait eu le droit d’être consulté ; mais, si l’on avait disposé de lui sans son aveu, on n’en avait pas disposé contre son goût. Le plaisir d’être complétement affranchi et maître de ses actions ne lui était pas indifférent. L’émigration était