Page:D’Haussonville - Souvenirs et mélanges.djvu/36

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et moi, nous l’avons mangée. » Rien n’a jamais tant diverti mon père. Il se plaisait à raconter cette anecdote, singulier échantillon de nos guerres civiles ; il faisait effort pour la faire redire par notre jardinier, mais ce brave homme était un peu embarrassé de son ancienne victoire ; il n’en parlait jamais qu’à son corps défendant.

Après l’invasion de la Hollande par l’armée de Pichegru, et la dissolution du corps auquel il appartenait, mon père se rendit en Angleterre, où sa mère, comme fille du marquis de Guerchy, naguère ambassadeur à Londres, avait gardé quelques relations. Beaucoup de Français s’y étaient déjà réfugiés, entre autres, les Harcourt. La branche anglaise de ce nom alors représentée par lord et lady Harcourt, avait fait un excellent accueil à la famille des Harcourt français, les traitant avec grande considération, les faisant passer partout les premiers comme étant les aînés de la famille. Ils avaient acheté pour eux une petite maison à Staines près de Windsor, et les y avaient établis. Mon père occupa d’abord un appartement dans cette maison ; il loua plus tard un logement à peu de distance avec M. d’Aramon. Le vieux duc d’Harcourt, de la branche française, était alors en correspondance réglée avec Louis XVIII qui portait le titre de Régent. Il était une espèce d’ambassadeur secret de ce Prince près du cabinet anglais ; il fit de mon père son secrétaire