Page:D’Haussonville - Souvenirs et mélanges.djvu/37

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d’ambassade. Les matinées se passaient à déchiffrer les lettres qui venaient des agents du Prince à l’étranger, et à correspondre avec eux. Le reste du temps, mon père l’employait à se perfectionner dans l’anglais, à visiter les Français qui s’étaient groupés autour de Staines. Les Harcourt, les Beauvau, les Vérac, les Fitz-James et les Mortemart formaient le fond de cette société. Toutes les personnes que je viens de nommer étaient, dans les premiers temps, réduites à une extrême pénurie ; elles la supportaient avec beaucoup de résignation et de bonne grâce, les femmes surtout. Chacun tâchait de tirer parti de ses petits talents. Les hommes qui savaient quelque chose (c’était le petit nombre) donnaient des leçons ; les femmes vendaient les ouvrages de leurs mains, car il était de mode à Londres de payer fort cher les mille colifichets que faisaient, en se jouant, ces nobles exilées. Malgré toute cette gêne, on se voyait beaucoup entre soi ; on employait mille moyens ingénieux pour continuer, dans la misère où l’on était tombé, la même vie de distractions à laquelle on avait été habitué. Les ménages les plus aisés prenaient des convives en pension. On donnait des dîners où chacun devait apporter son plat ; on convenait d’aller le soir prendre le thé alternativement les uns chez les autres. Dans certains cercles il était entendu que chacun devait fournir son sucre c’était une galanterie qu’on faisait à la maîtresse de la maison, de tirer une bougie