Page:D’Haussonville - Souvenirs et mélanges.djvu/48

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des Messageries. Mon père n’y était pas plutôt descendu qu’un homme âgé l’aborda, en lui demandant s’il ne venait pas de Hambourg. Cette question effraya mon père ; il crut avoir affaire à un espion et s’en débarrassa comme il put. Un instant après, la même personne lui disait à l’oreille : « N’êtes-vous pas M. Louis ? » Nouvelle frayeur de mon père. « Eh monsieur! je suis Lelièvre ; voici quinze jours que je viens tous les jours à la voiture par ordre de monsieur votre père. » — « Ah ! mon cher Lelièvre, c’est bien moi ; mais ne parlez pas si haut ; où allez-vous me mener ? » — « Chez vos parents. » — « Où sont-ils, mon cher Lelièvre ? » — « Toujours rue Saint-Dominique. Monsieur votre père n’a jamais quitté son hôtel depuis qu’il est sorti de prison. » Mon père n’en revenait pas ; il embrassait le vieux serviteur de la famille, lui faisait mille questions et pleurait de joie. Pendant qu’un commissionnaire allait chercher une voiture de place qu’on ne pouvait trouver : « Prenez la mienne, lui dit de l’air le plus triste son inconnu de la diligence, prenez la mienne ; vous paraissez avoir des raisons d’être pressé ; moi, je ne le suis pas. » Mon père sauta dans la voiture sans prendre le temps de remercier.

Le bonheur qu’éprouva mon père, en se retrouvant au milieu des siens, tous sains et saufs, rentrés dans leurs biens, établis à Paris et à la campagne à peu près sur le même pied qu’avant la Révolution, ne saurait se