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LUDWIG VAN BEETHOVEN

positeurs pour la plupart, se sont postés, faute de place dans l’étroit magasin de musique. Ils guettent la visite hebdomadaire de Beethoven. Voilà qu’au tournant de la rue, paraît un petit homme trapu, à l’air renfrogné, aux yeux vifs sous des sourcils grisonnants, les cheveux en broussaille débordant un haut-de-forme gris à larges bords. Avec son teint de brique, son foulard blanc, son col dont les pointes lui entrent dans les joues, avec sa longue redingote bleu clair qui lui tombe jusqu’aux chevilles et dont les poches sont bourrées de papiers et de cornets acoustiques, avec son binocle ballant et sa démarche gesticulante, il est la figure légendaire devant laquelle s’esclaffent les gavroches viennois et qui faisait dire à Mme de Breuning : « Je n’ose vraiment me promener avec lui ! » — Cependant les cœurs battent… On tend l’oreille pour deviner les réponses à l’étrange monologue qu’est sa conversation avec Steiner.

En dépit de son abord peu engageant, le maître recevra toujours avec bienveillance les jeunes compositeurs : « Je n’ai pas beaucoup de temps, mais apportez-moi quelque chose…[1] »

Et, sous les grappes rouges des tonnelles où il aime à trinquer avec ses visiteurs, Beethoven verra défiler Rossini, dont il plaisante l’ignorance tout en adorant son Barbier, Weber, en qui il saluera le créateur de l’opéra allemand : « Diable d’homme ! Heureux gredin ! » ainsi qualifiera-t-il l’auteur d’Euryanthe ; puis F. Wieck, le futur beau-père de Schumann, qui obtiendra une dernière improvisation sur un piano délabré, Schubert,

  1. Ce sont les propres paroles avec lesquelles nous accueillit, cinquante ans plus tard, notre maître César Franck.