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LUDWIG VAN BEETHOVEN

mentaires fonctions de son art. Isolé en tout, sans épouse, sans amante, sans position, sans ressources, privé même d’entendre sa propre musique, il est, pour ainsi dire, comme un mort vivant.

Que fait alors Beethoven ? — Bien loin de se livrer au désespoir, de vouloir en finir avec une vie misérable qui ne lui offre plus aucun attrait extérieur, il regarde en lui-même, dans cette âme qu’il s’est toujours efforcé de diriger vers Dieu, source de tout bien et de toute beauté. « Oui, » disait-il à Stumpff en 1824, « qui veut toucher les cœurs devra chercher en haut son inspiration. Sans quoi il n’y aura que des notes — un corps sans âme — n’est-ce pas ? Et qu’est-ce qu’un corps sans âme ? De la poussière, un peu de boue, n’est-ce pas ? — L’esprit devra se dégager de la matière où, pour un temps, l’étincelle divine est prisonnière. Pareil au sillon auquel le laboureur confie la précieuse semence, son rôle sera de la faire germer, d’en obtenir des fruits abondants, et, ainsi multiplié, l’esprit tendra à remonter vers la source d’où il découle. Car ce n’est qu’au prix d’un constant effort qu’il pourra employer les forces mises à sa disposition, et que la créature rendra hommage au Créateur et Conservateur de la Nature infinie. »

Et il arrive ainsi à vivre d’une vie purement intérieure, d’une vie presque monacale, contemplative, intense et féconde. Il crée, non plus en vue d’un éphémère succès, comme dans sa jeunesse, pas davantage pour épancher au dehors ses impressions, ses sentiments, ses passions, comme dans sa seconde époque ; il crée en pleine joie ou en pleine douleur, dans le but unique de rendre meilleure cette âme en laquelle il vit, seul.