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LUDWIG VAN BEETHOVEN

Nous ne pouvons entrer ici dans une analyse de détail, car il faudrait tout citer… Étudions seulement la partie médiane, le drame. Après l’Incarnatus, écrit en premier ton grégorien, commence l’effrayante montée au Calvaire. On suit les pas chancelants du Sauveur portant sa croix, si rudement soulignés par l’orchestre. Et c’est là que commence à gémir, sous l’archet des premiers violons, la plus émouvante plainte, la plus sublime expression de souffrance qui soit jamais sortie d’un cœur de musicien, plainte plus intense encore que la mélodie douloureuse de l’œuvre 110, puisqu’il s’agit ici non plus de la souffrance humaine, mais de celle d’un Dieu fait homme… — La fugue finale est tout entière d’une admirable splendeur. Elle exige un mouvement très lent, car il faut se rappeler ceci, que, lorsque Beethoven écrit un 3/2 (mesure à trois blanches) ou même un 6/4 comme par exemple l’ouverture d’Egmont, la 20e variation de l’op. 120, le thème religieux du finale de la IXe symphonie, etc., il attache à cette écriture une signification de majestueuse lenteur ; il n’y a pas, dans son œuvre, d’exception à cette règle. Cette fugue, aussi régulière, avec ses strettes, mouvements contraires et diminutions, que les plus belles fugues de Bach, est un modèle de magistrale poésie. On dirait une représentation des joies du ciel, telles que les comprenaient un Lippi ou un Giovanni da Fiesole. C’est, en effet, comme une fresque de la belle époque traduite en musique ; il y faut voir une danse mystique, une ronde de bienheureux foulant de leurs pieds nus les fleurettes des parterres célestes. Elle arrive de très loin, cette ronde majestueuse, on l’entend à peine… Elle approche, elle est tout près de nous, elle nous enlace