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LUDWIG VAN BEETHOVEN

entendre Beethoven avec ses pauvres oreilles fermées ? Le superbe Gœthe daigna-t-il lui écrire sur le lamentable cahier de conversation ses paroles miraculeuses ? Nous n’en avons pour témoin que quelques lettres de Beethoven à Bettina.

Mais peut-on vraiment ajouter foi à ce qui nous vient de la charmante hallucinée ? — Faut-il parler à ce propos de cette fameuse lettre dont personne n’a jamais vu l’original, où Beethoven est représenté sur la promenade, en face de la famille impériale, « le chapeau enfoncé sur la tête, le paletot boutonné, fonçant les bras croisés au beau milieu du tas », tandis que Gœthe se tient de côté, chapeau bas, profondément incliné ?

« Le duc Rodolphe m’a tiré son chapeau, l’impératrice m’a salué la première. » L’anecdote, il faut l’avouer, ferait plus honneur à la délicatesse de sentiment des princes autrichiens qu’à la bonne éducation de Beethoven. Mais qu’on nous permette d’observer ceci : si la comtesse d’Arnim était alors à Teplitz, comme le prouve la liste des étrangers, pourquoi Beethoven lui écrivait-il ? Pourquoi appelait-il pompeusement le duc Rodolphe celui qu’il ne nommait jamais autrement que son « cher archiduc » ? Pourquoi enfin Bettina raconte-elle la scène tout autrement dans sa lettre à Pückler-Muskau ? Voilà bien des pourquoi. — Concluons une fois de plus qu’il faut tenir en sévère suspicion les paroles et les écrits de la jeune Brentano.

À Teplitz, Beethoven se lia aussi avec un groupe intéressant de patriotes et de lettrés qui, à l’enseigne de l’Étoile, hôtel fréquenté par les gens à la mode, se réunissaient sous le sceptre de la comtesse de la Recke. Hommes élégants, jeunes officiers, femmes aimables ;