faire venir les peintres, ou le dimanche, mettre la main à la pâte et coller vous-même des papiers à vingt sous le rouleau qui représentent des champs de fleurs. Tout le monde n’a pas les moyens de se passer une telle fantaisie, et s’installe au petit bonheur, colle son buffet là où était celui du prédécesseur, le lit dans le même coin, les chaises, la table là où en subsistent les traces. L’architecte n’a permis aucune fantaisie. Les ménages se succèdent, comme les couples à l’hôtel, sans se connaître, mais tous forment une longue chaîne d’esclaves. Comme rien ne se perd, dit-on, il faut croire que les rêves, les angoisses, les tristesses de ceux qui vous ont précédé, se sont collés sur les murs, dans les interstices du plancher, et que cette vermine, plus dangereuse que l’autre qui ne peut que souiller votre corps, vous ronge l’âme. Ah ! oui, on peut tout tenter pour se débarrasser de ce passé : mettre sur les murs des calendriers et des chromos, votre photo de mariage, acheter des fleurs artificielles, un buffet à colonnes, un lustre dont les perles frémissent comme des feuilles, fréquenter le cinéma et le bistrot, rien n’empêche que vous ne soyez insensiblement contraint à suivre l’ornière qu’ont tracée vos frères inconnus, que vous ne refassiez leurs calculs avec l’illusoire espoir de déménager. On sait quel jour on arrive. Dieu sait quand on partira, dix ans, quinze ans filent, ou paraissent avoir passé comme une saison. Toutes ces maisons ont une voix, un visage, une âme : celle de ses occupants, et c’est ce qui donne à ces faubourgs tant de tristesses. Ces intimités que des murs cachent à nos regards, comme on les peut pressentir, comme les signes de la vieillesse nous les livrent.
Cette fois, après de longs voyages, des lenteurs, des rêveries, des appels, me voici au cœur de ce monde qui est le mien, à sa source, aux lieux de sa naissance et de sa mort. L’atelier, le café, la rue, les salles de spectacle, ne furent que des étapes sur ce chemin qui conduit là où nous avons nos refuges, là où nous dormons, rêvons, faisons l’amour, et pleurons. C’est entre quatre murs, sans travaux et sans plaisirs, qu’on trouve des hommes nus, ceux-ci dans leur case, comme leurs lointains ancêtres dans leurs cavernes, seuls avec leur tourment originel ; avec leurs désirs, et cette