Page:Dabit – Refuges, paru dans Esprit, 1936.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mort qui coule en eux depuis le jour de leur naissance. En tête-à-tête avec leur femelle qui allume le feu, prépare leur pâture, avec leurs enfants, les yeux tournés vers leurs dieux : une photo de Jaurès ou de Lénine ; plus doués que leurs ancêtres puisqu’ils ont, non seulement fait la conquête du feu, mais encore emprisonné l’esprit et qu’ils lisent des prophéties. C’est par là, d’ailleurs, qu’ils sont marqués des signes de la tribu, qu’ils obéissent à des lois qui servent leurs instincts, qu’ils peuvent penser, aux soirs de détresse, ne pas mourir tout entiers, et, sur cette terre sans dieu désormais, aider à construire une société socialiste.

Seulement, si des camarades triomphent dans une sixième partie du monde, votre règne, à vous, se fait attendre, et vous avez le temps de crever d’ici là, et chaque jour, des vôtres vont pourrir à Pantin. Sans doute votre foi vous pousse-t-elle à manifester, et vous ne manquez jamais à ces réunions de la rue Mathurin-Moreau, ou de la rue de la Grange-aux-Belles. Mais le triomphe est long à venir. Autour de vos faubourgs, il y a une invisible ceinture qui vous menace, des commissariats, des casernes, et des avions. Que sur votre territoire, vous végétiez ou grondiez, cela on s’en soucie peu. Mais, avec quelques autres, moi, je voudrais faire entendre mieux votre voix, en ce temps provisoire où les paroles seules sont des actes.

Ici, ce n’est pas le même ciel qu’ailleurs ; et l’atmosphère est plus lourde. Sans doute, existe-t-il des villes étrangères qui ont aussi leurs faubourgs, avec leurs misères qu’on se doit de crier, leurs légendes qu’on se doit de crever. La réalité se dresse devant nous, c’est un mur de prison qui monte jusqu’au ciel, impossible de ne pas pouvoir le renverser, aujourd’hui avec des images et des mots, demain avec des actes. Sans doute, lentement se transforment Ménilmontant et Belleville, les masures sont abattues, des rues percées, mais quels sont ceux qui peuvent habiter dans ces nouveaux immeubles ? On n’a d’argent que pour manger, se vêtir, se loger dans des sortes de taudis, on y est traqué par ses semblables, et par la misère. La lutte est éternelle. Ce qu’elle a d’attristant, c’est que la paix, la justice, le bonheur pour le plus grand nombre, n’en sortent point. Après tant de