Page:Dabit – Refuges, paru dans Esprit, 1936.djvu/8

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de désirs et d’autre besoin que celui de retrouver un peu l’atmosphère de leur jeunesse. On se croit hors du temps, dans un musée : les personnages qui se penchent sur les rampes du poulailler, ceux qui occupent des loges à cent sous la chaise, où les ai-je rencontrés ? Il tombe du lustre une pâle lueur qui rend plus étrange ces faces de fantôme, et, quand le rideau se lève, que dans un décor conventionnel apparaissent les acteurs, je crois être témoin des coutumes d’un autre âge. Tout est faux, immatériel, noble, dramatique, mauvais ou bon. Un spectacle de marionnettes, ou encore de revenants. Les voix résonnent, les cris se figent, les gestes se pétrifient ; et, peu à peu, comme un linceul couvre la salle. Deux vieilles ouvreuses, décoiffées, déguenillées, sommeillent ; des spectateurs écoutent le ronronnement des acteurs, ils sont calés dans leur fauteuil, perdus dans leurs songes. Ah, se peut-il qu’il y eut un temps où vivaient ici des passions, où l’on croyait saisir la vie, en contempler les drames ? On s’imagine dans un temple désaffecté. Durant les entr’actes, on traîne dans ce qui fut le « foyer » où pourrissent des fauteuils, des chaises, où l’ouvreuse, à la buvette, sert des chopes ; et dans les galeries, des gosses se croient en vacances et courent sur les « stalles », bondissent de fauteuil en fauteuil et achèvent de les crever. Croit-on que coule à deux pas, dans cette rue de Belleville, un fleuve ; que les cinémas lancent leurs appels, qu’on s’y entasse ! Non, ici, on semble être loin du monde, non en province, mais perdus dans les légendes où vivent les héros et les traîtres et les amoureuses des temps anciens.

C’est un des derniers coins de Belleville où l’on sent vivre encore le passé de nos pères, comme un corps dont le sang se retire peu à peu. Oh, ce théâtre a ses fidèles, qui connaissent toutes les œuvres du répertoire et savent se passionner pour des fables ; ses amateurs et des artistes qui cherchent à retrouver une pureté perdue. Mais les vrais courants s’en détournent ; la vie ne l’enrichit plus et l’on ne peut se nourrir du passé. Dans l’air flotte une odeur de cimetière, des noms sont évoqués : Melnique, Brasseur, Virginie Goy, autant de fantômes. On attend un démolisseur. Car à quoi bon la légende si elle doit nous attendrir