Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/105

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Le Père Préfet l’aura mis au fait, pense Jacques. Il me surveille. Il voudrait pincer mon postillon. Attention, Marc !

Marc n’entendait pas ce monologue et se préparait, comme il avait accoutumé, à passer la lettre de Louise sous la couverture d’un livre. Au tableau, Monsieur Legris gesticulait ; il développait la formule du picrate de potassium et de quelques autres explosifs, avec une clarté qui n’en finissait plus d’éblouir. Saint-Denis souffla :

— Dans cinq minutes, je te lis mon épître.

Marc s’agitait toujours. Il riait nerveusement de sa bouche simiesque. Timoré, il risquait sa peau, il le savait ; on ne refuse tout de même pas un service à un bon diable comme Jacques. Jacques ouvrit son cahier et crayonna une tête de Monsieur Legris au cœur d’un noyau benzénique. Monsieur Legris allait bon train, tirait des liaisons sans se permettre un faux pas. Il devenait impudent ; il fallait le provoquer. Saint-Denis toussota :

— Écoute.

Jacques se cambra et Tristan penché sur sa table lut de sa voix chaleureuse : Épître à Béatrix. C’était un message versifié à l’héroïne du Dante. Saint-Denis savourait les mots, et s’appesantissait avec un gloussement de satisfaction sur les finales particulièrement réussies. Et ce Marc était-il agaçant avec son livre ! Dévoué mais pas futé pour deux sous. Jacques par dessus son épaule passait à Saint-Denis sa caricature de Monsieur Legris quand Marc, distrait par le manège de ses amis et désarçonné par un regard oblique du professeur, laissa tomber sur le sol le manuel qui