Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/127

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thoven que pour y substituer le sien. Des attentions dont une main délicate et inconnue avait pansé les moments ardus de sa courte existence, et qu’il croyait oubliées : un mot ou un silence sans arrière-pensée, un geste d’intelligence ou d’humble encouragement que l’affection transfigurait, boutons gonflés de sève dont on ne le déposséderait jamais, et qui n’attendent pas la mort de la jeunesse pour fleurir dans une âme bien née. Des chagrins reployés que le musicien dépliait lentement et inondait de soleil ; le miroitement inlassable du fleuve à la pointe de l’île, battement de libellules qui dissout les fumées de la ville ; les jours sans autre histoire que le bonheur, trop tôt rognés par les soirs de froidure ; septembre, et la lingerie, où les malles béantes aspirent l’odeur de cèdre qu’il fera bon humer au collège, et où s’active Madame Richard, tandis que les noces matinales des corneilles, en route vers le sud, croassent sur les rochers, et que les pruniers menacent de rompre leurs branches sous le poids des fruits mûrs ; un sentiment d’impuissance quand on regarde Monique, et que l’on découvre au fond de soi, comme des portraits embrunis, des affections anciennes et menacées.

Jacques, précautionneux, inventoriait un rêve ténu qu’effarouchent les regards impudents ou sceptiques. Tel coin retiré de son âme se délitait sous les battements cadencés de l’allegro ; il y jetait un regard furtif et se retirait sans tarder ; le don de clairvoyance, privilège habituel de Maurice, lui était alors conféré : une émotion dont il s’était cru incapable, une exaltation occulte et touffue, des pensées informulées, un monde mal intelligible s’éclairait, s’explicitait par le