Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/132

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du concert, j’ai rencontré Louise. Maman avait un drôle d’air en me disant bonsoir. Un mariage musqué, ce matin, un catalogue de modes, un chuchotement d’antichambre. Des airs empruntés, une presse de mots et de gens très bien. Plusieurs avaient ouvert la noce de grand matin ; dans l’office deux messieurs plaisantaient sans retenue avec la femme de chambre ; et un autre monsieur était couché dans la béatitude de son vin sur le lit de Guy : choses qui sont bien portées dans le milieu où je vis. Ces insolents souillent les endroits où ils posent leurs pieds et leurs cœurs boueux. Les Morand voudront un mariage semblable pour leur grande écervelée de Marguerite. Monique est partie. Au départ pour l’église, papa, rasé de frais, était blafard, et une longue ride lui balafrait le visage, comme une angoisse qu’il ne parvenait pas à refouler. Maurice m’a entraîné dans un coin. « J’ai deux billets pour le concert de ce soir, les veux-tu ? » Et il est reparti, adonné à son jeu. Il n’aime pas la musique. Comment Maurice trouve-t-il dans sa vie un gîte pour l’amitié ? On le dit égoïste et il est le seul qui m’ait parlé ce matin comme on parle à un homme. Serai-je capable d’une véritable amitié ? Je veux ignorer ce qui peut se tapir sous les gestes de Maurice. Je déteste le monde et j’aime Louise d’un amour qui n’a rien de l’enfance ; hélas ! j’en suis sûr aujourd’hui, mon amour n’est pas si pur que je le croyais et je ne suis pas meilleur que les autres, pas même de désir. Où donc est la pureté ? Je ne sais plus où je vais. À quoi me servirait d’écrire ? J’ai cru un instant que j’y verrais quelque chose et me voici devant un grimoire. La musique n’engendre que déception. »