Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/139

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Ils s’acheminent vers la gare. Jacques pose des questions au Père Vincent qui les a accompagnés jusqu’au wagon-lit, mais le Père ignore les détails du message téléphonique ou feint de les ignorer. André caille de fatigue et disparaît derrière les courtines de son lit.

Jacques compte sur le roulement du train pour le bercer et l’endormir. Il sait qu’il n’aura pas trop de toutes ses forces en arrivant là-bas. Et le voilà aux prises avec un cauchemar : un accident de chemin de fer ; Jacques travaille à déblayer la voie, et le cadavre de son père gît sous les décombres. Il se réveille en sursaut ; son oreiller est trempé de sueur. Une odeur aigrelette lui tourne le cœur ; il se lève, entr’ouvre les courtines d’André. Le gamin a vomi son souper sur la couverture de laine et il dort, le visage décomposé. Jacques sonne le serviteur noir, éveille André et l’aide à enlever son pyjama souillé ; il le fait avec des gestes gauches, pleins de douceur, et oublie un instant son dégoût, car André grelotte dans le wagon mal chauffé.

— Prends ma couchette…

— Je puis attendre…

— Je te dis de prendre ma couchette !

Et Jacques, bourru, pousse André entre les draps encore chauds ; il demande une seconde couverture qu’il étend sur les membres recroquevillés du petit. Il donnerait sa nuit de sommeil pour André.

Le nègre lui a préparé un lit. Il attend les yeux grands ouverts, mal satisfait. Il lève le store et contemple la campagne gelée dur dans l’air transparent ; la locomotive brise à grands coups de bielle la résis-