Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/143

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tourné, dans la fumeuse de Monsieur Richard, entretenait un inconnu.

— Excusez-moi !

— Jacques, entre, mon pauvre ami.

Lucien dépose son verre et presse la main rêche de son beau-frère.

— Mes condoléances, sincèrement.

Les lèvres de Voilard n’ont pas encore trouvé le pli du chagrin.

— Pinsonneau, permettez-moi de vous présenter mon beau-frère.

C’est lui Pinsonneau ! Un meurt-de-faim aux cheveux noirs crépelus. Les allures d’un défroqué, pense Jacques, alors qu’il essaie de saisir une main qui lui fond entre les doigts. Perdu dans l’immense demeure où il a si souvent joué à la cachette avec Paule et André au retour du collège, il cherche sa mère ; il la trouve dans sa chambre, assise dans le fauteuil grenat entre les deux fenêtres où, le matin, elle tricote et ravaude les bas ; les chairs mates de la figure tombent de lassitude. Le chiffonnier est fermé. Monique, dans une bergère, a pris André sur ses genoux ; le benjamin a renoncé à faire l’homme et pleure toutes ses larmes. Madame Richard détaille aux garçons la scène d’hier, elle décrit les traits tombés de leur père, le repas où personne n’osait toucher aux aliments, et la chute en passant au salon ; Guy a traîné son père jusqu’au canapé. Monsieur Richard est mort en serrant la main de sa femme. La mère de Jacques parle par petites phrases heurtées ; les muscles de la bouche sont raidis. Ses prunelles fixes voient mal et