Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/146

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ont tout prévu. Elle a essayé de prier sans y réussir ; les vérités chrétiennes ne deviendront réalités pour elle qu’au moment où la mort elle-même ne sera plus un songe. Pour le moment, son attitude exprime l’égarement et une sorte d’attente. Les hommes connaissent mal le visage habitué de la mort.

C’est donc cela, la mort ? Jacques regarde le visage raidi de son père entre les mousselines ; il palpe les mains sclérosées aux ongles livides et roussis. Il n’a pas peur, il n’est pas triste ; il croit que son père est heureux, ou qu’il le sera. Jamais encore ne lui ont paru plus évidents les dogmes qui furent autrefois la matière de ses examens. Le jeune homme touche les assises de sa foi et elles sont fermes ; elles soutiennent sans broncher le choc de la première séparation.

Jacques recueille la première part de son héritage, la foi. Gamin, il se précipitait avant la vieille Marie pour réveiller son père à sept heures, et Monsieur Richard, dans un pyjama bleu qui lui battait les côtes, s’agenouillait deux minutes, le front dans ses longs doigts jaunis.

Jacques trouve son père beau, sculpté pour qu’on le regarde. Le sourire malicieux persiste aux commissures des lèvres et des paupières. Tel il a toujours été : impérieux, exigeant, pointilleux, mais plein de condescendance amusée ; probe et d’une droiture qui conférait à sa démarche une fierté de bon aloi ; d’une distinction qu’étoffait une magnanimité non apprise, et que la délicatesse des sentiments nuançait à l’infini. L’argent n’avait jamais acquis de poids entre les mains de ce travailleur intelligent que la fortune avait servi. Jacques ne concevait pas qu’un homme pût