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LE VERGER

d’esprit qui confinaient à la peur. Je ne prenais pas la peine de répondre à tes questions. Tu es mon ami ; c’est un fait acquis, et je me repose sur cette assurance, courant après de petites aventures assez banales. Notre amitié n’est pas une chose qui se chante mais qui se vit. Je parle souvent de toi ; j’ai même ici, cela ne te surprendra pas, deux lettres que je t’ai écrites et que je ne t’ai pas envoyées. J’avais besoin de calmer un conflit et, à le dire, je l’ai calmé. J’avais besoin de laisser voir mes faiblesses ; je ne soigne rien avec toi, je ne cherche pas à épater, je me sais faible, indécis. Je me montre aux autres l’homme le plus confiant, le plus volontaire, le plus décidé qui soit. J’ai mes doutes, et je refuse de croire à leur existence. Ce n’est pas tout de persuader son entourage de sa force, il faut s’en persuader soi-même. L’amitié est égoïste ; un ami est celui dont on abuse. Je pense à toi, mais j’avoue vivre trop en dehors de toi. Quelle mécanique que notre vie ! J’ai fui le monde ce mois-ci, le monde qui ne peut consoler mais auquel je le sens bien, je retournerai par la banalité voulue de mon caractère. Notre colloque sur le mont des Quatre-Sœurs aura donc été vain ? Après coup, ces instants de liberté me paraissent trop étrangers à ma vraie nature pour se prolonger, pour m’accompagner dans la plaine. Car j’aime à me planter en face de la vie. Je me souviens d’une théorie que j’ai maintes fois développée devant Noël qui vibre, comme tu sais, à un diapason peu terrestre : être assez réaliste pour comprendre la bassesse de l’homme et assez indulgent pour la lui pardonner ; bien plus, se convaincre