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LE VERGER

mes, à la surface de son âme, comme sur le pont sonore l’équipage d’un navire en partance.

Cette fois ce n’était pas un leurre.

Jacques avait atteint, comme le fleuve devant l’île, le point où les eaux se divisent. Deux courants avaient vu le jour au clair pays de l’enfance, mêlé leur onde sur un long parcours, reçu au passage l’élan d’apports nouveaux, et s’il fallait les séparer, ils se tordraient comme des métaux en fusion.

À compter de ce jour et pour quelques semaines, le Grand Meaulnes ne le quitta pas ; la page de garde portait, sous l’Approbatur du Père Préfet, trois couples d’initiales dont le mystère avait échappé au flair de la Préfecture et qui conféraient au volume une valeur d’incunable. Jacques vivait comme un reclus.


Quand Jacques referma le livre d’Alain-Fournier, il le refusa net à Saint-Denis, outré de ce procédé, et l’envoya chez le relieur. Sa décision était prise. Délibérément et de haute lutte, il renonçait au bonheur entrevu. Ce n’est pas lui qui hériterait le Verger. Le bonheur, il tenterait de le conquérir pour le porter aux autres. S’il était heureux, ce serait par surcroît. Il n’était pas assez fort pour porter le bonheur terrestre qui fleurissait dans la lettre de Louise. Il avait escaladé avec Meaulnes le mur d’un domaine merveilleux. Il ne méprisait rien ; il jetait même sur le message de la jeune fille un regard attendri, comme on envie, au sortir de son jardin, le rosier qui fleurit la fenêtre de la moindre demeure.

On pouvait concilier la vie chrétienne et la vie dans le monde, l’amour de Jésus-Christ et l’amour