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LE VERGER

ses pas. Les arbres poussaient des branches dénudées dans un ciel d’un bleu campanule ; dans leur course affairée, les nuages avaient cueilli toutes les blancheurs de l’hiver disparu. La nature ne se laissait pas endormir par la munificence du soleil ; elle besognait, soupçonneuse, dans l’attente du frisson qui descend avec l’ombre des montagnes embrunies. Pas un bourgeon ne brillait pour cette jeune fille à la tête sérieuse qui marchait, sans le savoir et pour la première fois, à la rencontre de l’adversité.

Louise tremblait par secousses. Au couvent, quand on lui annonçait : « Louise Beauchesne, la Sœur Directrice désire vous parler », elle songeait à la maladie de sa mère, à la mort peut-être entrée sournoisement dans la maison. Et elle poursuivait, dans sa conscience mal au clair, la faute secrète qui aurait attiré des représailles sur elle et sur les siens. À la longue elle avait levé la frayeur qui enveloppait pour elle le nom de Dieu. Aujourd’hui, elle retrouvait, en pleine Grande-Allée, la crispation du cœur et le désir de fuir n’importe où, comme autrefois dans les corridors du couvent, ou sur la route du nord, à l’île, le soir, quand elle évitait de se retourner, pour ne pas voir le grand orme poussant dans la nuit étoilée ses bras sombres comme une croix. Tous les enfants de l’île connaissaient cet arbre qu’André lui avait montré du doigt un matin ; son négligé lui donnait un faux air de bonhomie entre les massifs de concilier. Jacques dirait adieu. Elle avait été coquette avec lui. Elle n’avait pensé qu’à elle dans ces attentions qui la flattaient (on le disait indépendant et légère-