Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/187

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de cet observatoire pas un plan de couleur, pas un détail du décor ne se dérobait. Comme une intaille dont le connaisseur se repaît les yeux dans le plein jour d’une baie, la vallée s’expliquait dans la lumière crue de l’après-midi. Les Laurentides, qui dévalaient des hauts pays, fendaient les tentures bleues du ciel comme un flot compact, soulevaient à gros paquets l’écume des nuages, et refoulaient les guérets jusqu’à plonger là-bas, en plein Saint-Laurent, où elles s’engouffraient, les gueules abruptes de leurs promontoires. En face, les forts de Lévis chevauchaient les taudis charbonneux des chantiers maritimes, et les augets trapus des criques et des bassins de radoub où des navires en carénage reposaient leurs cheminées éteintes.

Ce pays membru, qui portait sans fléchir un immense bouclier granitique évidé de rivières et de lacs et la harde des monts velus alourdis par les ans, s’effondrait en son milieu sous le faix du Saint-Laurent. Rejetant l’étreinte des falaises et des quais, le fleuve étalait, au delà de la Pointe-à-Carcy, des nappes d’eau promises à la mer ; la mer, on la devinait à peine devant ces perspectives définies ; l’île, ancrée par ses deux pointes dans le va-et-vient de la marée, la proue vers le goulet de l’estuaire, berçait ses bords verdâtres de péniche embossée et chargée de légende ; les débâcles avaient respecté cette aïeule. Là-bas, dans les lointains du fleuve et de l’après-midi, le cap Tourmente bleuissait comme une tour d’aquarelle à l’entrée d’un vieux port.

À la frontière du quartier ancien où ils avaient autrefois, en toute ignorance, posé les jalons d’une