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LE VERGER

voie aujourd’hui à son terme, Louise et Jacques contemplaient les royaumes de leur jeune passé ; deux petits mondes à eux confiés pour la confrontation de leur liberté et de leur destin. Au confluent de leurs bonheurs, ils perçoivent, comme ils ne l’ont jamais fait jusqu’ici, le sens des courants et des remous, et les parfums de pays hâtivement visités.

Jacques n’a que rétrogradé depuis le début de l’entrevue, tel un navire désemparé dans le jusant.

— Vois-tu là-bas, derrière l’église (la façade dressait son clocher comme un grand mât), le coteau où aboutit notre première promenade ? Estelle ne prisait pas mon lyrisme, te souviens-tu, Louise ?

Pourquoi Jacques s’engage-t-il dans un chemin d’où ils ne sortiront pas sans douleur ? Louise est avertie mais elle ne balance pas un instant. Même si elle doit en souffrir davantage, rien ne remplacera ces lambeaux de phrase arrachés au malheur. Ils mêlent jusqu’à la confusion les souvenirs, les gestes, les mots de leur enfance, et les gestes, et les mots répétés dans la ferveur de leur jeunesse sur la pointe de l’île.

Jacques avait perdu pied. Il ne dirait pas ce que, depuis une semaine, il avait arrêté d’avouer, et peut-être que, de remise en remise, il ne le dirait jamais. Ah ! qu’il saisissait bien une fois de plus l’inanité de ses enthousiasmes cérébraux, fatras d’idées livresques, reliées entre elles, croyait-il, pour le mener à l’action, et qui n’avaient d’autre efficace que de blesser les autres et lui-même. Voilà que devant une petite main tendue vers les pays aimés, les sentiments renoncés